• Villa Saint-Christophe à Canet-Plage (1941-1943)

    Villa Saint-Christophe

    Un havre de paix pour enfants victimes de la guerre

    Plus de soixante-dix ans après les faits, voici que surgit une nouvelle page d'une réalité qui n'avait laissé ici aucune trace.

    En 1944, pendant la seconde guerre mondiale, une grande villa bourgeoise de Canet-Plage a été transformée en maison de convalescence pour les enfants des camps d'internements de Rivesaltes, Argelès ou Saint-Cyprien. On a beaucoup parlé de la Maternité Suisse d'Elne et bien, à la même époque, existait aussi la Villa Saint-Christophe, située sur le front de mer à Canet-Plage.

    On peut se demander pourquoi ce lieu de vie pour enfants est resté totalement ignoré ici jusqu'à ces derniers mois. En fait, plusieurs facteurs ont contribué à ce que l'existence de ce lieu de vie pour enfants ne soir pas connue.

    * D'abord parce que les créateurs de cet établissement ne sont pas des Français, nous le verrons plus loin.

    * Ensuite parce que cet immeuble, appelé la Villa Saint-Christophe, qui avait été édifié ne bord de mer à la fin du XIXème siècle, était situé à l'époque en un lieu quasi désert. Seuls, les proches voisins, très peu nombreux, pouvaient se rendre compte que la résidence était habitée et qu'on y voyait des enfants. Nous sommes alors en période de guerre, de pénurie et les gens se préoccupent essentiellement de leur propre survie.

    * Et puis, la troisième raison qui facilitera la dilution de la mémoire fut la démolition de cet immeuble, comme beaucoup d'autres, pour laisser place à une résidence de sept étages, appelée Le Beaulieu. On pourrait peut-être aussi ajouter que les enfants qui ont été hébergés ici n'étaient pas Roussillonnais, qu'ils n'avaient aucun lien dans le pays et qu'ils n'ont pas été recherchés par des familles, au plan local.

    Donc, contrairement à la Maternité d'Elne qui, physiquement, existe toujours, aucune trace de la Villa Saint-Christophe ne subsiste aujourd'hui.

    Un étrange courrier venu des États-Unis d'Amérique

    En janvier 2009, Madame Arlette Franco, alors député-maire de Canet-en-Roussillon, reçoit un courrier émanant d'un professeur d'Histoire établi dans l'Illinois aux USA. En fait il s'agit d'une demande de renseignements concernant une maison de repos pour enfants réfugiés, la Villa Saint-Christophe, fondée par les Mennonites américains et qui aurait existé à Canet-Plage, le le régime de Vichy.

    Du côté de la mairie, on a pu simplement déterminer que la villa en question était à l'époque la propriété d'un médecin de Castelnaudary, le docteur Coffinière. Rien d'autre. Rien non plus dans la presse locale. Cette maison avait sans doute été louée.

    Mais cette interrogation venant des USA, fut relevée par deux passionnées d'histoire et de patrimoine, deux sœurs, Mesdames Simone Chiroleu-Escudier et Mireille Chiroleu qui vont entamer une très longue investigation. Puisqu'il n'y avait aucune trace de cet établissement ici, des archives devaient bien exister ailleurs et c'est chez les Mennonites que les recherches vont se concentrer, puisque ce sont eux les créateurs de la maison pour enfants.

    Le Mennonitisme est une confession chrétienne issue de la réforme protestante fondée au XVIème siècle et la plupart des membres sont rassemblés dans la Conférence Mennonite Mondiale. Leur but est essentiellement humanitaire mais évidemment confessionnel, fondé cependant sur la justice sociale. Le mouvement est né en 1920 à Chicago pour porter secours aux Mennonites de l'Union Soviétique après la Révolution Russe et la famine en Ukraine. Il intervient ensuite durant la guerre civile espagnole. Leur centre d'archives est situé aux USA, à Goshen, dans l'Indiana.

    Les deux chercheuses, aidées d'Éric Escudier, le fils de Simone, pour les courriers en anglais, seront informées que, en effet, de nombreux documents, correspondances, photos, liste d'enfants de diverses nationalités, confirment et racontent l'histoire de la Villa Saint-Christophe.

    Ce fut à la fois extraordinaire et passionnant. Retrouver plus de 70 ans après les faits, le détail, presque au jour le jour de ce qu'a été cet épisode douloureux de la seconde guerre mondiale était tout à fait inespéré.

    Si obtenir ces documents fut ensuite relativement aisé, il faut cependant ajouter qu'ils ne furent expédiés en France que contre espèces, en l'occurrence en dollars. C'est dans le règlement de l'organisation des Archives Mennonites et il faut s'y conformer.

    En possession de ces documents et des listes d'enfants, nos historiennes se mirent à la recherche des survivants de l'époque, âgés aujourd'hui de 75 à 85 ans.

    L'un d'eux, Gilbert Susagna, devenu professeur, dont la mère a travaillé un temps à la Villa Saint-Christophe, livre son émouvant témoignage dans la préface de ce qui est un bel ouvrage qui lui, assurément, restera dans l'histoire.

    Pourquoi Canet-Plage ?

    Le Mennonites ont donc fait le choix de Canet-Plage pour installer leur établissement. Plusieurs raisons peuvent être évoquées :

    * D'abord parce que la Villa Saint-Christophe est au bord de la mer. C'est bon pour des enfants convalescents.

    * Ensuite parce que le lieu est très calme. On y dispose de grands espaces qu'il est facile de surveiller.

    * Et puis, il ne faut pas oublier que Canet-Plage est reliée à Perpignan par le tramway. On utilisera ce moyen de transport économique et pratique pour faire livrer les fournitures nécessaires à la vie quotidienne. De plus, les visiteurs peuvent gagner facilement et sans encombre la gare de Perpignan.

    D'autres œuvres d'assistance aux enfants existent en parallèle, comme les Quakers américains ou le Secours Suisse aux Enfants. Ces œuvres collaborent généralement entre elles et sont tenues d'observer une stricte neutralité dans le conflit qui oppose l'Allemagne aux Alliés.

    Le projet de maison d'enfants à Canet-en-Roussillon a pu être réalisé avec une aide importante des Mennonites américains.

    C'est le 1er avril 1941 que la Villa Saint-Christophe ouvre ses portes et elle reçoit ses premiers pensionnaires le 4 mai, trois petits Espagnols de 9, 7 et 2 ans. La première structure d'accueil se compose d'une directrice, de deux collaboratrices, d'une infirmière et d'un cuisinier.

    La colonie accueillera environ 150 enfants espagnols et une cinquantaine de diverses nationalités dont des enfants juifs.

    L'arrivée des troupes allemandes, en novembre 1942 mettra fin aux activités humanitaires de la Villa Saint-Christophe qui sera définitivement fermée en janvier 1943. Les enfants seront cependant évacués vers le château de Lavercantière, dans le Lot. De nombreux petits juifs échapperont ainsi aux convois en partance de Rivesaltes vers les camps d'extermination, via Drancy.

    Source «La Villa Saint-Christophe, maison de convalescence pour enfants des camps d'internement» Simone Chiroleu-Escudier, Mireille Chiroleu, Éric Escudier, Alliance Éditions (avril 2013) 

    Article paru dans la Semaine du Roussillon


  •  

    François, l'aîné, né en 1786. C'est lui que nous connaissons le mieux en Roussillon. Sa statue, sur la Place éponyme, pointe du doigt le Canigou. Astronome, physicien, mathématicien mais aussi député des Pyrénées-Orientales de 1831 à 1852, puis député de la seine avant d'être ministre de la Marine et des Colonies et c'est lui qui signera, le 27 avril 1848, le décret abolissant l'esclavage dans les colonies. Il décède le 2 octobre 1853 à Paris.

    Le destin des six frères Arago

    Statue de François Arago (Collection Jean Josset)

    Jean, le deuxième fils, né en 1788. Il quitte la France en 1815 pour – c'est lui qui parle - « donner la préférence à la cause de la liberté ».Il ira soutenir les combattants pour l'indépendance du Mexique, y deviendra directeur général du génie militaire, colonel, puis général. Il mourra du paludisme à Mexico le 9 juillet 1836, à 48 ans.

    Jacques, le troisième des fils, né en 1790, sera romancier, auteur dramatique et explorateur. Devenue aveugle en 1837, il continue de voyager, d'écrire et produire des pièces de théâtre. Son livre « Curieux voyage autour du monde » a été écrit sans utiliser une seule fois la lettre « a ». Il décédera à Rio de Janeiro, au Brésil, en 1854.

    Victor, quatrième des fils, né en 1792, entre à Polytechnique en 1811, à 19 ans. Il se fera remarquer au combat en 1832 pour l'indépendance de la Belgique, conquise contre la Hollande. Vers 1855, il commande la garnison de Perpignan puis celle de l'Ile d'Aix, en Charente. Il décédera en 1867 à Versailles.

    Joseph, cinquième des fils, né en 1796, sera lui aussi militaire et, comme son frère Jean, il partira au Mexique où, après avoir fondé une famille, il terminera sa carrière comme colonel. Atteint lui aussi de cécité pour cause de diabète, il décède le 19 décembre 1860 à Tucabaya.

    Étienne, sixième et dernier des fils, né en 1802, sera un homme de Lettres et de théâtre, journaliste à Paris, un temps député, maire de Paris, puis Conservateur du Musée du Luxembourg.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon


  • Antoine Redier

    Posons-nous un instant la question de savoir comment nos ancêtres, avant l'invention du réveille matin, arrivaient, à heure fixe, à mettre un terme à leur profond sommeil. A la campagne, il suffisait d'avoir un coq dans la basse-cour car, tout au long de l'année, le rythme du travail dans les champs étaient régi par le lever et le coucher du soleil. Avant les premières lueurs de l'aube, quand un coq commençaient à chanter, tous les autres l'imitaient et cela suffisait pour jeter à bas du lit tout un village.

    A la ville, les voisins d'une caserne militaire pouvaient aussi compter sur la sonnerie du clairon, dimanche et jours fériés compris, ce qui pouvait ne pas être apprécié pour tous. Certains dormeurs endurcis avaient mis au point d'invraisemblables machines qui, à un moment donné, pouvaient par exemple leur faire choir de l'eau sur le visage. Bref, lorsque, en 1847, Antoine Redier invente le premier réveille-matin à mouvement d'horlogerie, il est loin de se douter que son invention va – presque – révolutionner le monde qui travaille et lève tôt. Nous sommes à cette époque à l'orée de la révolution industrielle et de plus en plus de personnes iront travailler en usine, manufacture ou atelier, parfois en « trois huit » c'est à dire à horaire décalés. Le réveille-matin sera pour eux l'accessoire indispensable de leur assiduité au travail.

    L'art des mécanismes

    Antoine Redier, appelé familièrement Antonin, naît à Perpignan (Pyrénées-Orientales) le 22 décembre 1817 mais il ne sera déclaré en mairie que le 30 du même mois par Marie Sarda, sage-femme. Le père, Jean Redier, orfèvre à Perpignan est momentanément absent et la mère, née Élisabeth Vial, vient d'accoucher dans la maison de son père Joseph Vial, serrurier de son état.

    On ne sait rien de l’enfance de et de l'adolescence du petit Antoine sinon qu'il entrera comme apprenti chez un réputé horloger suisse, Louis Frédéric Pierrelet (1781-1854) qui, en 1828, vient de déposer un brevet concernant le perfectionnement du chronographe. Il fera ensuite son service militaire au 3ème Régiment d'Infanterie à La Fère (Aisne) puis entrera à l'École d'Horlogerie à Paris, sur recommandation de François Arago, alors professeur à l'École Polytechnique et ami de la famille Redier. Diplômé de l’École d'Horlogerie, il travaillera pendant trois années chez un autre grand horloger parisien, Henri Robert, chez qui il lui sera donné l'occasion de réparer les pendules du renommé Couvent des Oiseaux, une institution pour jeunes filles, puis, en 1842, il reprendra le fonds de l'horlogerie Duchemin, établi Place du Châtelet à Paris. Voici Antonin Redier devenu maître-horloger.

    Le 13 juin 1843, il épouse à Poitiers Virginie Bruère et leur union donnera naissance à 3 filles et 3 garçons. Un deuxième mariage, dont la date n'est pas précisée, l'unira à Marie Joséphine Michelle et 8 enfants, 5 filles et 3 garçons, naîtront de cette nouvelle union.

    Ses inventions les plus marquantes

    1842 : Il fait breveter des perfectionnements aux montres et chronomètre de poche.

    1847 : Il invente le réveille-matin

    1849 : Une montre à réveil lui vaut une médaille de bronze

    1851 : Il expose à Londres un pendule conique et un mouvement horizontal

    1852 : Invention d'un mouvement de sonneries et des calendriers appliqués à l'horlogerie

    1854 : Nouveau moteur d'horlogerie

    1858 : Il invente in micromètre chronométrique

    1859 : Présentation d'une petite pendule à réveil

    1860 : Il met au point des pendules astronomiques, une application du pendule conique, une horloge simplifiée

    1864 : Perfectionnements apportés aux baromètres métalliques

    1868 : Il améliore le fonctionnement des pendules à sonnerie avec quantième

    Ses travaux permettront au physicien Lucien Vidi (1805-1866) de réaliser le baromètre anéroïde, doté d'une capsule dite « de Vidi » qui mesure les variations de la pression atmosphérique.

    Les petites pendules huitaines – que l'on remontent tous le huit jours – construite par Redier et qui portent son nom seront à la base de la création d'une nouvelle industrie dans le village de Saint-Nicolas- d'Aliermont, en Seine-Maritime. Ces pendules seront construites et vendues par centaines de mille. Aujourd'hui, les pendules et réveil Redier sont très recherchés par les collectionneurs qui en apprécient la qualité et l'ingéniosité.

    C'est pour le compte de la Défense Nationale qu'Antoine Redier fabriquera très rapidement une pièce maîtresse du nouveau fusil Chassepot (1868), l'aiguille, dont il livrera 500000 exemplaires très rapidement.

    Fait Chevalier de la Légion d'Honneur le 23 mai 1863, il est promu Officier le 20 octobre 1878 par décret du Ministre de l'Agriculture et du Commerce à la suite de l'Exposition Universelle où la Maison Redier et Cie avait obtenu un Grand Prix.

    Antoine Redier, qui fut membre administrateur de la société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale , fondée en 1801, décédera à Melun (Seine-et-Marne) le 30 décembre 1892.

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon »

    Acte de baptême de Antoine Redier 

    Antoine Redier


  • Jean-Baptiste Delhoste (1846-1919) Fondateur du premier Syndicat des Jardiniers de France

    Ce n'est pas tout à fait par hasard si le poète-écrivain Albert Saisset, dit « Oun Tal » a hérité de son arrière-grand-père, le notaire Sauveur Jaume, de quatre hectares de terre du côté des Jardins Saint-Jacques à Perpignan. Son grand-père présida la Commission syndicale du « Rec dels hortolans » (organisations agricoles), toujours aux Jardins Saint-Jacques et son père, le banquier Augustin Saisset possédait en 1870 le moulin hydraulique médiéval sur le « rec del Vernet » au lieu-dit La Poudrière, tout près de l'actuelle clinique La Roussilonnaise. Lui même fut syndic d'une « agulla » - un canal – et on connaît la rigueur avec laquelle le problème de l'eau était traité à l'époque.

    Donc, notre poète est l'un des collègues des Delhoste, dont le mas familial se situe au milieu des jardins de Neguebous. C'est dans le mas que naît Jean-Baptiste le 14 février 1846. Son père y était né en 1810 tandis que son grand-père, lui, avait vu le jour au quartier Saint-Jacques en 1782. Une lignée de maraîchers car, déjà en 1579, leurs ancêtre Jaume et Montserrat Delhosta (le nom fut francisé par la suite) payaient les taxes des agulles. La mère de Jean-Baptiste, qui fut surnommé très vite Batistou, est la fille d'un tisserand du quartier Saint-Jacques et d'autorité, elle décide que l'aîné de ses fils sera prêtre. Sans doute faisait-elle référence à l'un de ses grands-oncles, un prêtre qui émigra en Louisiane, acheta des terres sur les bords du Mississippi, participa à la campagne du Mexique, revint en France et acheva sa vie en 1865 comme chanoine de Limoges sous le pseudonyme de Jules de L'Hoste.

    Le père et le beau-père de Batistou sont Regidors de la Sanch, et l'oncle Julien est vicaire de la cathédrale Saint-Jean mais aussi archiviste de l'Association Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales – qui deviendra la S.A.S.L -. Une famille qui, on le voit, est entièrement dévouée à l'église.

    Le frère aîné, Henri, celui qui devait être prêtre, décède en 1855 au siège de Sébastopol et Jean-Baptiste devient en 1863 le responsable des exploitations de Saint-Jacques, de Saint-Estève et du Vernet.

    Il épouse en 1868 Marguerite Tarrissou, issue elle aussi d'une ancienne famille d'horticulteurs.

    Les Delhoste, maîtres de l'eau

    Malgré son jeune âge, il n'a que 22 ans, il gère avec sérieux les parts d'héritage de sa belle famille à Bajoles et à Saint-Gaudérique où elle possède les terres et caves qui deviendront en 1946 le mas de Sant-Vicenç. Il devient « hortolà » et viticulteur, affirmant au fil des années une personnalité et un savoir-faire qu'il doit à la gestion de l'eau. Car il a de qui tenir, le Batistou : le 10 fructidor de l'an IX, son arrière-grand-père Joseph Delhoste-Mirous était élu syndic de « l'agulla de Saint-Mamet i Malprat ». Le 21 mars 1824, son grand-père Julien Delhoste le devenait « en remplacement de son père décédé au cours de l'année » et occupera cette fonction pendant trente ans. Le 24 mars 1867, son père Jean est à son tour élu syndic en remplacement de Jean Brousse et enfin, de juin 1879 jusqu'à sa mort, Jean-Baptiste Delhoste sera d'abord syndic puis directeur-syndic du canal.

    Les Delhoste sont donc restés près de 120 ans au service de l'eau, cette eau précieuse qui est la vie de l'horticulture, le poumon vert du Roussillon. Car on va demander à Jean-Baptiste de prendre également en gestion les canaux du Vivier du Champ de Mars, de Vernet de Pia et enfin le ruisseau des Jardins Saint-Jacques. Le voici patron, pour ainsi dire, de la distribution d'eau d'irrigation de la majeure partie de la plaine roussillonnaise.

    Avec diplomatie, Jean-Baptiste négocie avec les notables urbains qui vont céder progressivement la place aux patrons-jardiniers, plus nombreux tous les ans et mieux organisés, curieux de progrès et avides de connaissances nouvelles.

    Après la Révolution et ses soubresauts, les « hortolans » se replient et attendent des jours meilleurs. En 1840, les premières tentatives de regroupement mutualiste voient le jour en France, en 1842, Sauveur Trapé, dont les ancêtres ont appartenu à la Conférence des Jardiniers, lance la Société de Bienfaisance des Brassiers de la paroisse Saint-Jacques et la réal, un projet qui échouera. En 1847, une Société d'Horticulteurs est crée par les jardiniers Conort et Ferréol Pomès dont le siège est Place du Puig. Le coup d'état de Napoléon III de 1851 la fera également disparaître.

    C'est la loi du 21 mars 1884 sur la liberté d'association qui permettra la création d'un mouvement à la tête duquel se trouvera Jean-Baptiste Delhoste. L'arrivée du chemin de fer en 1859 avait déjà profondément modifié l'économie agricole. On passe de 7140 tonnes de primeurs expédiées en 1879 à 20255 tonnes en 1913 et certains producteurs estiment qu'il faut ouvrir un marché de gros car la concurrence est désorganisée, certains expédiant directement leurs produits vers Bordeaux, Lyon ou Paris. En 1850, les jardiniers possèdent 144 emplacements sur la Place de la république et en 1880 ils sont 450.

    Le premier syndicat de France

    C'est une nuit d'hiver de l'an 1884 que Jean-Baptiste Delhoste réunit tous les jardiniers de Perpignan au théâtre de l'Alcazar, sur les bords de la Basse. La première chambre syndicale est constituée et désigne les vingt membre de son premier bureau. Jean-Baptiste Delhoste précise : « À la presque unanimité, j'obtins la présidence et, séance tenante, les membres présents se firent inscrire, prirent le livret et versèrent leur première cotisation ».

    215 chefs d'exploitation signent le document historique dont l'original a été conservé par le petit-fils du fondateur, Julien Delhoste, décédé à Pézilla-de-la-Rivière en 1985.

    La première chambre syndicale des jardiniers de France venait de voir le jour à Perpignan. Mais la création du marché de gros, hors la Place de la république, ne se réalise pas facilement, certains jardiniers y étant opposés. Enfin, le 28 mars 1897, le Conseil Municipal de Perpignan vote son transfert et le 16 mars 1899 à lieu l'inauguration au lieu-dit La Pépinière, le long des rives de la Têt.

    Avec son frère Henri et son collègue le conseiller municipal Julien Barate il va créer les premières entreprises industrielles de compost et d'engrais. En 1904, c'est l'Assurance Mutuelle des Jardiniers de Perpignan qui voit le jour. Ils sont une dizaine en 1904 puis 40 en 1916, refusant le « suicide » en ne cédant pas aux avances de la Roussillonnaise en 1911.

    Mais jusqu'à sa mort, jean-Baptiste Delhoste s'adonnera à d'autres occupations, bénévoles mais toujours liées à la profession. Allant chez les uns et les autres, au gré des conflits, il va régler à l'amiable, dans la majorité des cas, des désaccords d'eau, de succession, de délimitation de terres. Sa probité, son attachement à la langue maternelle font que l'évêque Monseigneur De Carsalade du Pont, « el bisbe dels catalans » comme on l'appelait, est venu passer quelques après-midi au mas de Neguebous. Les successeurs de Batistou à la tête du syndicat ont pour nom François Piqué, Raphaël Pomés et François Taillade. Ils pérennisent la mémoire multiséculaire des « Hortolans de Perpinyà ».

    Au début des années 80 était inauguré à Saint Charles le Marché au Cadran. Une exposition sur la fondation en 1884 de la Chambre Syndicale des Jardiniers de Perpignan et des environs fut organisée par Jacques Deloncle, à la demande de Joseph Palau, adjoint au maire de Perpignan. C'est à cette occasion que le portrait de Jean-Baptiste Delhoste était enfin retrouvé et dévoilé au public.

     Jean-Baptiste Delhoste (1846-1919)

    La répartition de l'eau d'arrosage

    Elle se faisait par rapport à une surface donnée selon les « tours » d'arrosage codifiés avec précision dans le règlement. Au point de départ de la prise d'eau se situait une pierre percée d'un orifice circulaire, « l'ull » par lequel passait l'eau. Cet orifice était soigneusement rebouché après usage.

    Le partage quotidien de l'eau est devenu très tôt la cause principale de l'organisation des hortolans entre eux.

    Pour une totale efficacité du volume disponible, les moulins pouvaient utiliser l'eau la nuit et les maraîchers la reprenaient au lever du jour.

    Il pouvait exister plusieurs catégories en fonction de la valeur de la terre et de leur besoin en eau. Par exemple, le maraîchage était classé en 1ère catégorie tandis que le verger, ayant de moins d'eau était classé en 2ème catégorie.

    Le tout était soumis à un strict règlement et tout contrevenant était fortement verbalisé.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon


  • Frontière et contrebande en Roussillon au XIXème siècle

    L'histoire de la frontière et de la contrebande sous-entend un problème plus large, celui de la continuité des courants, des liens étroits après le Traité des Pyrénées de 1659 entre les deux Catalognes : pour les frontaliers des Pyrénées-Orientales, la frontière n'existe pas comme il n'y a pas de contrebande et le Roussillon demeure catalan : on vit de façon semblable des deux côtés de la frontière. S'il y a une vraie coupure, elle se situe aux Corbières : ici la civilisation est différente, la langue. Les courants économiques poussent toujours les hommes à regarder vers le Sud, et les limites imprécises de la frontière en Haut-Vallespir, en Cerdagne autour de Palau et de Llivia facilite en cela l'activité de la contrebande. Jusqu'au blocus continental, la douane et les pouvoirs politiques ferment les yeux.

    Le XIXème siècle naissant va voir changer l'état d'esprit des pouvoirs publics : d'abord la contrebande se transforme, ce n'est plus le sucre ou le tabac qui constituent l'essentiel du trafic mais bien ce qui est en jeu, la maîtrise industrielle du pays ; la contrebande aide au développement industriel de la Catalogne par l'exportation illégale de métiers à tisser Jacquard, par le débauchage d'ouvriers français.

    Les troubles espagnols aidant, l'insécurité s 'accroît le long de la frontière, des bandes armées à l'images des célèbres Trabucayres sèment la terreur: le contrebandier devient un homme dangereux.

    Frontière et contrebande 

    Un contrebandier (A.D. Pyrénées-Orientales)

    La frontière dès lors s'impose aux yeux des Roussillonnais, elle représente une ligne de protection contre les troubles espagnols : elle devient peu à peu la prise de conscience d'appartenance à une réalité différente.

    C'est en 1830-1850 que le Roussillon découvre que son destin désormais est au Nord, le chemin de fer de Narbonne à Perpignan y pourvoira. 

    Frontière et contrebande

    En Cerdagne, douaniers français en embuscade (A.D. Pyrénées-Orientales)

    La Frontière

    Qui dit contrebande dit frontière. Celle-ci doit être étudiée en tenant compte du contexte historiques et géographique.

    La Convention de Céret en 1660, à la suite du Traité des Pyrénées, délimite la frontière : celle-ci court en principe le long des lignes de crête et de partage des eaux, sauf pour trois zones qui y échappent. En effet, la plaine de Cerdagne est séparée en deux par l'enclave de Llivia, le Cap Creus revient à l'Espagne et le Haut-Vallespir est artificiellement découpé. Ces tracés imprécis favorisent au XIXème siècle la contrebande.

    A cela s'ajoute l'absence de bornes sur la frontière jusqu'en 1870 qui entraîne des conflits quotidiens : ainsi les habitants de Llivia viennent chercher du bois en France, des soldats français dressent les embuscades sur le versant espagnol, des violences sont commises par des garde-côtes espagnols dans les eaux françaises …

    Cependant, peu à peu, la frontière s'inscrit non seulement dans le paysage géographique,

    mais aussi dans les esprits et finit par devenir une réalité au point de faire de l'espace frontalier une terre d'asile pour les réfugiés politiques français et espagnols. 

    Frontière et contrebande

    Le Perthus – Poste des carabiniers Espagnols (Collection Jean Josset)

    La contrebande

    Sous le Premier Empire, la frontière est pour la première fois effectivement fermée en raison de la guerre en Espagne et du blocus continental. La contrebande se développe alors de façon considérable pour alimenter la France en produits tropicaux manquants (sucre, café...). Les routes du Roussillon, propices au trafic, sont nombreuses.

    Quatre zones servent de plaques tournante :

    - La Côte Vermeille à partir de Banyuls-sur-Mer, véritable cité contrebandière où presque toute la population s'adonne au trafic et n'hésite pas à intimider la douane en incendiant ses bateaux

    - Le Vallespir où les liens économiques avec le reste de la Catalogne sont étroits

    - Le Conflent autour du Massif du Canigou

    - La Cerdagne à partir de Llivia, de la vallée du Carol et du Puigcerda.

    Frontière et contrebande

    Borne frontière dite de la Vignole entre Enveitg et Puigcerda 

    Les contrebandiers sont issus de tous les milieux sociaux avec en majorité de petites gens. Ils n'agissent pas uniquement seuls, mais s'organisent aussi en bandes imposant leur loi dans les villages du Vallespir.

    Les contrebandiers, devant l'importance des bénéfices, affrontent avec hardiesse les dangers naturels, rivières en crue, avalanches et froid hivernal, qui font chaque année de nombreuses victimes. En outre, les fréquentes embuscades des douaniers accroissent les risques pour les contrebandiers, mais aussi pour les douaniers.

    Dans la première moitié du XIXème siècle, la contrebande se transforme peu à peu en trafic à grande échelle. Ce trafic est d'abord industriel avec le développement de l'industrie catalane autour de Barcelone qui entraîne les industriels catalans à importer illégalement des métiers à tisser ou des fours à fonderie et à débaucher des ouvriers français. Mais, avec les troubles dynastiques et la guerre civile espagnole de 1830 à 1870, la contrebande se spécialise dans le trafic d'armes. La douane roussillonnaise multiplie donc les saisies malgré les caches nombreuses, ici une grotte, là un cimetière, plus loin des auberges.

    Des bandes armées s'installent le long de la frontière et le contrebandier traditionnel, bien inséré dans la population locale, cède la place à un personnage trouble et dangereux.

    Face à cette menace permanente, les interventions fréquentes des douaniers transforment la frontière, zone de circulation, en une véritable ligne de séparation imposée aux Roussillonnais.

    Frontière et contrebande 

    Une cabane de contrebandier (A.D. Pyrénées-Orientales) 

    Article paru dans la Semaine du Roussillon