• Contrebande en Roussillon

    Au 18ème siècle une affaire fortement lucrative  

    Contrebande en Roussillon

    Par le traité des Pyrénées de 1659, le Roussillon quittait le royaume d'Espagne pour être rattaché au royaume de France, Les habitants, non consultés, lutterons contre l'État pour préserver leur identité. La contrebande fut pour eux un moyen d'exister.

    Comme l'explique Michel Brunet dans son livre « Le Roussillon, une société contre l'État », les Roussillonnais ne sont pas devenus français d'un seul coup, au lendemain du traité des Pyrénées en 1659. A la question : « comment un fragment de l'ethnie catalane, ayant vécu pendant des siècles accolé à l'ensemble catalan et sous la domination espagnole, s'est-il intégré à la nation française ? » plusieurs pistes sont proposées et, parmi celles-ci, l'activité économique liée à la contrebande qui devint « une des industries les plus florissantes de la contrée, sinon la plus importante ».

    Car le tracé de la frontière, évidemment très contesté par les riverains des deux bords habitués depuis toujours à échanger librement marchandises et bestiaux, fut l'élément déclencheur d'une riposte durablement organisée et d'une insoumission aux règles imposées par l'État français.

    Sel, vêtements, armes

    On connaît les dégâts causée par la gabelle, ce nouvel impôt sur le sel dont la contrebande devint quotidienne, Le trafic local en provenance de Catalogne sud se porta aussi sur les objets d'usage courant comme les vêtements, les bonnets en laine rouge dits « baratinas », les « faixes » - ceintures également en laine rouge – les ustensiles de cuisine, les espadrilles « bigatanes », les étoffes, les objets de cuir tels que les harnais ou les gourdes.Michel Brunet nous dit que, à cette époque, « les Roussillonnais s'habillent dans le Principat ». ceci nuit évidemment à l'artisanat du pays dont on reconnaît volontiers la médiocrité de qualité sur le marché local, trop étroit, ne peut faire progresser.

    Il en est de même pour les armes et la réputation des manufactures de Ripoll ou Olot est connue est connue en Roussillon depuis toujours. Détail cocasse en 1792, alors que se profile une guerre avec l'Espagne et qu'il faut armer les gardes nationaux, une manufacture de Ripoll se dit prête à fournir des canons de fusil aux dimensions voulues par les français.

    Ceci pourrait être considéré comme de la contrebande locale qui s'exerce essentiellement de Catalogne vers le Roussillon. Mais il est un autre type de contrebande organisée par les filières de contrebandiers professionnels et dont le flux est inversé. Si on exporte frauduleusement du minerai de fer, la raison en est simple : la pénurie de bois de chauffe en Roussillon fait que l'on ne peut transformer sur place le minerai de fer et il est beaucoup plus facile de le faire passer en Espagne plutôt que de l'expédier à dos de mulet en France. Les autorités ont conscience de ce problème et si leur désir est d'y mettre fin, elles savent aussi que l'économie de toute la région va en pâtir et probablement s'effondrer. Ce cas sera même évoqué en 1791 à l'Assemblée Nationale pour la mine de Carol.

    Une autre activité dont le marché espagnol est demandeur touche une certaine catégorie de bois plus noble:planches, poutres, douelles de châtaignier. On cite aussi la cire, la soie brute, les cuirs bruts et les vieux linges ou chiffons, appelés « drilles » dont l'industrie papetière espagnole est vorace. Si cela nous prête aujourd'hui à sourire, il faut savoir qu'il s'agit là d'un trafic de contrebande très important dont l'organisation passe par les flottilles de pêcheurs de Saint-Laurent-de-la-Salanque, de Torreilles ou de Collioure qui embarquent vers Barcelone des tonnes de chiffons et qui, en retour, ramènent frauduleusement de la morue et du sucre. En 1811, le Tribunal spécial des Douanes prononcera encore des jugement de saisie de « drilles ».

    En montagne, pour la contrebande de matières premières en direction de l'Espagne, ce sont de véritables expéditions organisées qui se mettent en place. Les passeurs se réunissent en grand nombre et 30 à 40 hommes armés escortent les convois de plusieurs chevaux chargés. Les douaniers impuissants car en nombre insuffisant, ne sont pas en mesure de contrer ce trafic.

    Produits alimentaires...

    D'autres grands courants de contrebande sont liés aux produits alimentaires. Par exemple les grains et le bétail. Fin du XVIIème siècle, alors que la région de Barcelone se développe, il est frappant de constater que son arrière-pays se tourne vers la culture de la vigne, créant ainsi une carence en céréales et en viandes. Le Roussillon, face à l'énorme marché du Principat, ne fournira qu'une infime partie de la demande mais sera le point de passage des expéditions massives provenant du Languedoc.

    Un exemple : la Cerdagne, devenue française, produit deux fois plus de seigle qu'elle n'en consomme et il lui est impossible par manque de voies de communication, de transporter à dos de mulet cet excédent vers le Roussillon. Il est par contre facile pour elle de se tourner vers ses anciens voisins et amis, toujours demandeurs. Ces flux, dont l'ampleur est considérable, constituent un véritable travail de fourmis dont les douaniers ne saisissent que quelques miettes.

    et bétail

    Quant à l'exportation massive de bétail, elle semble constituer un énorme marché dont commerçants roussillonnais maîtrisent le flux. L'historien Pierre Vilar cite le cas de Barcelone qui, en 1793, importe près de 22000 bovins dont la plus grande partie clandestinement du Roussillon. En Cerdagne, sous le prétexte de faire paître les bêtes, il est facile de leur faire traverser une frontière dont le tracé est toujours source de contestation. Le chiffre énorme de 60000 têtes de bétail est cité par le directeur des douanes d'Ax qui écrit le 26 Thermidor de l'An IV aux administrateurs du département des Pyrénées-Orientales. L'enclave espagnole de Llivia, dont le pourtour n'est ni matérialisé ni sécurisé facilite grandement ces opérations de transfert, En avril 1814, le maire de Mont-Louis signale que « nous manqueront entièrement de bétail, tous les bestiaux du pays passeront à l'étranger... »

    Il existe également un trafic de chevaux de trait et de mulets dont Céret semble être la plaque tournante. Sont citées également les localités d'Oms, Fourques, Llupia et Thuir où des hommes sont recrutés pour escorter les caravanes à travers les sentiers vers la frontière.

    Il nous faut aussi parler de la contrebande de tabac dont le petit port de Banyuls-sur-Mer était déjà le centre opérationnel avant la Révolution. Un rapport de l'en 1769 dit que « presque tous les entrepreneurs de contrebandiers sont domiciliés à Banyuls ». Ce trafic ne concerne pas seulement l'Espagne comme le préfet le signale en 1819 : « il n'est pas rare de voir nos marins entreprendre sur de frêles bateaux des voyages longs et périlleux, se rendre dans les ports d'Italie, aux côtes de Barbarie, à Gibraltar et rentrer ensuite avec des chargements simulés après avoir déposé sur quelques points de la côte du département ou celle de la catalogne leur marchandise ».

    Il nous reste à citer la contrebande des denrées coloniales dont le sucre et le café viennent en tête puis celui des métaux précieux, or et argent, le plus secret des trafics.

    La conclusion, nous la laisserons à Michel Brunet qui nous dit que, à cette époque, « la contrebande tend à resserrer les liens étroits, traditionnel, entre le Roussillon et Ampurdan, entre Perpignan et Barcelone (…) le commerce interlope contribue par ailleurs à faire du Roussillon une zone d'insoumission, une espèce de plaque tournante semi-autonome, une zone de transition où la loi française ne s'applique plus tout à fait ou pas du tout ».

    Article paru dans La Semaine du Roussillon