• L'église triangulaire de Planès

    Tour de guet, ancienne mosquée ou centre initiatique templier ?

    Petite mosquée, traduction symbolique de la Trinité, influence égyptienne ou chrétienne d'orient, les thèses sont nombreuses. Le XIXème siècle s’intéressa de très près à l'origine de l'édifice de l'église Sainte-Marie de Planès, surnommée « La Mesquita » par ses habitants.

    Au sud de Mont-Louis dans le Haut-Conflent, un véritable tapis de verdure descend sur les flancs des coteaux jusque sur les bords de la rivière de Planès. On y découvre un minuscule village. De vielles maisons aux toits d'ardoises y sont éclatées en quatre hameaux distincts, à cause d'une avalanche, il y a quelques siècles. Au lieu-dit des Cascarols se dresse l'édifice qui a été pendant de longues années l'objet de discussions passionnées quant à son origine.

    Il s'agit de l'église de Planès, blottie en haut du sentier qui part du hameau del Mitg. Elle est construite sur un plan triangulaire : coupole élevée sur trois piliers triangulaires, posés aux trois angles d'un triangle équilatéral, nef triangulaire, extérieurement et intérieurement l'église à la forme d'un triangle dont les angles sont arrondis. Sa façade principale ornementée d'une porte (autrefois située au milieu de l'abside nord-ouest) est remarquable quant à ses pentures , volutes et entrelacs de fer forgé datant du XIIème siècle. De loin, vue de face, l'église paraît avoir des proportions assez vastes. En se rapprochant, on reste persuadé qu'elle possède les dimensions normales d'une petite église de village. Mais, on est complètement désillusionné dès que l'on pénètre à l'intérieure. On est saisi par sa petitesse. Oratoire, tour ou petite basilique.

    En écartant les bras, on peut presque toucher avec les mains les côtés extrêmes de l'église. Le maître autel situé en face est à trois ou quatre pas de la porte d'entrée et encore, il a été reculé ! En se tassant bien, c'est à peine si 80 personnes peuvent y entrer (grâce aux deux tribunes). Au centre de l'autel, une statue de Saint Isidore, patron, des laboureurs qui tient dans sa main gauche l'attribut de sa fonction, « la rella », soc de charrue.

    Découverte par un berger et un taureau

    La présence d'un tel édifice est difficile à expliquer dans un si petit village de montagne. C'est ainsi qu'en accord avec sa légende, on a cru tout d'abord que ce monument était à d'origine arabe et avait été édifié pour servir de sépulture à Munuza, gouverneur de ces montagnes pour l'émir Abd-el-Rhaman de Cordoue, lors de la conquête de l'Espagne par les Arabes. D'ailleurs encore aujourd'hui pour les habitants du pays c'est la Mesquita ou « petite mosquée ». Certains affirment, qu'anciennement, la coupole était dominée extérieurement par une espèce de tour de guet protégée par un garde-fou. De là, le clerc sonnait autrefois la messe avec une petite cloche portative. Cette tour assurait aussi la défense de la partie droite du village, pendant que le château, construit en face sur un piton rocheux, et dont il ne reste rein aujourd'hui, (hameau « del Castell ») veillait sur la partie gauche.

    De là, une autre théorie a découlé. L'église aurait été bâtie selon le plan de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, lors de l'influence des constructions à coupoles du Saint-Empire Romain d'Orient, dont les tracés auraient été rapportés par les Maures. On y aurait aussi décelé des influences égyptiennes ou encore un centre initiatique templier.

    Loin de cette légende maure communément admise, l'éminent architecte Viollet-le-Duc, croît à l'origine chrétienne de ce monument. Son plan triangulaire serait la traduction symbolique et matérielle de l'idée de La Trinité. Dogme fondamental du christianisme. En France, l'église de Planès n'est pas le seul exemple d'une telle construction. Sainte-Croix-de-Montmajour à Arles (Bouches-du-Rhône), chapelles de la Trinité de l'île de Lérins (Var), de Saint-Germain à Querqueville (Manche) et celles de Brouilla et d'Ur dans le département, des Pyrénées-Orientales, ont aussi un chevet en forme de trèfle. Le dogme de la trinité, pas plus que celui du Christ n'a pu vaincre le culte rendu à la Vierge.

    Mais tandis que les uns voient là un monument funéraire, un baptistère ou une église, le docteur Sabarthez considère qu'il s'agit d'une chapelle d'un oratoire dédié à la Vierge de Planès. Celle-ci a été découverte au XIIème siècle, avec la cassolette en cuivre, la cloche et la croix de l'église, à peu de distance de l'édifice. Elles y avaient été cachées pendant l'occupation du pays par les Musulmans. Selon la légende, la découverte en revient à un berger et un taureau guidé par un ange, comme beaucoup de statues de la vierge découvertes en Cerdagne et dans les Pyrénées en général.

    Les dernières études enfin tenteraient de démontrer que l'église de Planès ne serait qu'une vieille tour transformée. Tour stratégique, car de Planès, un sentier muletier permet de passer rapidement en Espagne par deux côtés différents : la vallée de Prats-Balaguer et le Col Rigat, et le vallon creusé par la Têt où l'on rencontre les traces de l'ancienne « strata francisca inférior ».

    Devant tant de polémiques, l'église de Planès reste muette et ne s'ouvre aux chants des goigs que chaque 24 septembre, jour de la fête du village. Unique jour percer son mystère.

    Tour de guet, ancienne mosquée ou centre initiatique templier ?

    Article paru dans La Semaine du Roussillon