• La part d'ombre du roi soleil

     

    Louis XIV, bienfaiteur de Versailles et fossoyeur du Roussillon. Antenne 2, le 17 septembre, pendant deux heures nous a fait visiter de long en large toutes les constructions de cet homme épris de grandeur.

    Et, il est vrai que pour les Versaillais, ce fut une aubaine... hier et aujourd'hui encore. Alors, quel est le problème ? C'est que, lors de cette émission, les Catalans d'origine et d'adoption, ont suivi les réalisations du grand homme, et peut-être une certaine fierté. Justement, comment évaluer l'œuvre d'un souverain ? Un souverain doit être estimé sous trois angles : les institutions, la culture, l'architecture, bref, ses rapports avec les gens.

    Abordons les institutions

    Louis XIV ne fut pas exemplaire. Il ne convoque pas d'assemblée de députés, appelée en France « États Généraux » : il est un souverain absolu. Dès lors, pourquoi respecterait-il ses engagements ? Le traité des Pyrénées, signé de sa main en 1659, est jeté aux oubliettes. Il impose ses propres règlements à la province du Roussillon. Or, ne l'oublions pas : la première vertu intangible des Catalans, c'est le respect des Lois écrites qui, depuis quatre siècles, étaient votées par l'Assemblée des Députés (les Corts) dont l'application stricte était surveillée attentivement par la généralitat de Barcelone et de sa « succursale » de Perpignan. Face aux agissements de Louis XIV, la population commence à gronder en brandissant les articles du traité des Pyrénées ; on lui rappelle qu'il doit respecter les institutions catalanes : il s'y est engagé.

    Depuis 600 ans, les Consuls de Perpignan sont élus par les habitants, les nobles et les clercs étant exclus des élections. C'est ainsi que, à partir de la longue liste des Perpignanais en âge de voter – le « Registre des Matricules » - les douze élus, qui forment le Consulat de la Vila, étaient issus de toutes professions, allant des riches au moins riches. Lorsque Louis XIV découvre cette pratique, que décide-t-il ? Il demande à son ministre Louvois de « purger » les registres et de choisir les meilleurs sujets qui seraient approuvés par le roi ! En fait, les élections sont remplacées par des nominations. Puis, on s'attaque aux « institutions nationales catalanes ». Aussitôt, les Perpignanais adressent au roi cette supplique : « abolir la députation des Catalans des Comtés du Roussillon et du Conflent et des autres terres de Cerdagne va être d'un grand désavantage pour votre majesté et détresse pour ses fidèles vassaux ». En réponse, les nombreuses institutions catalanes qui fonctionnaient côte à côte sont dissoutes. Désormais, ce sera un Intendant qui couvrira tous les pouvoirs : civil, militaire et judiciaire. Ce nouveau système sème la révolte dans le pays catalan ! Face à ce peuple désobéissant et insensible à sa grandeur, Louis XIV répond qu'il faut « envoyer insensiblement des prêtres français et sortir les naturels du pays ». Puis, contrairement à ses engagements mentionnés dans le traité, il rétablit l'impôt sur le sel détesté de tous : la gabelle ! Or, elle avait été supprimée en pays catalan en 1282 ! Cette ordonnance met le feu aux poudres et c'est alors qu'éclate la révolte des Angelets de la Terra dirigée par Josep de la Trinxeria originaire de Prats-de-Mollo. Désormais, deux points de vue s'opposent : sont-ils des résistants ou des terroristes ? Quand un meneur est pris par les armées de Louis XIV, il subit tous les tourments, et sa tête est placée dans une cage de fer et accrochée sur un mur : à Villefranche-du-Conflent et à Salses ; à Perpignan, elle était suspendue à la Loge de Mer. Des dizaines de Catalans sont condamnés à mort avec confiscation de leurs biens, trente villages sont condamnés à de fortes amendes.

    Venons-en à la culture

    Alors, Louis XIV va frapper un grand cou. Le protecteur de Molière estime que la langue catalane est « contraire à son autorité, à l'honneur de la nation française et même à l'inclinaison des habitants des dits pays ». Ordre est donné « aux juges, avocats, procureurs et notaires de faire sentence, procédures et contrats public en langue française ». Aussitôt, les protestations arrivent dans les mains du roi : « ni le curé, ni le notaire, ni les témoins ne pourront entendre les dernières volontés du testateur et qu'il est certain que la plupart mourront sans testament ». Alors, le roi soleil ajoute : « Sa majesté veut et entend que tous les habitants de la ville de Perpignan, comme étant la capitale du pays, et qui par conséquent doit montrer l'exemple aux autres, soient dorénavant vêtus à la française ».

    Penchons-nous sur l'architecture

    Inutile de vous dire que le bâtisseur de Versailles va jeter un œil hautain sur l'architecture catalane : il entame une campagne de destructions en Roussillon. Les armées de Louis XIV vont rasés les maisons des « terroristes » à Prats-de-Mollo, Saint-Laurent-de-Cerdans, Arles-sur-Tech, etc. Le village de Ayguatebia est totalement rasé suivant le courrier envoyé à Versailles : « l'on a razé et tout à fait destruict le village daiguettebia » (il sera reconstruit ailleurs). Les paysans sont réquisitionnés à titre de corvée pour démolir les muraille d'Elne, d'Arles-sur-Tech, de Prats-de-Mollo, etc. Du point de vue symbolique, le château de Ria, qui a vu naître Guifré el Pelos, fondateur des comtes et des rois catalans, est entièrement rasé.

    Puis, ce sont Villefranche et Collioure qui sont visées. Au cœur de Villefranche, les Franciscains possèdent une église avec son clocher et un cloître. L'église mesure 31 mètres sur 6 ; le cloître, probablement sur deux étages, environ25 sur 25 ; la galerie couverte avec 44 colonnes est large de 4 mètres. Vauban les fait raser : avec les pierres récupérées, il renforce les fortifications élevées par les Catalans pendant le Moyen-âge. Sur la colline qui domine la cité, il fait construire un fort : avec quelques canons, il peut bombarder Villefranche toujours prête à se révolter !

    Le port de Collioure reflète l'idéologie du nouveau pouvoir. Vauban décrète que Collioure, telle qu'elle est bâtie, n'est pas facilement défendable. Que décide-t-il ? Il faut, dit-il raser un tiers de la ville. Or, dans ce secteur, il y a l'église, la Casa del Consolat et de belles bâtisses. Évidement, la population de Collioure refuse de démolir sa propre ville... alors, Louis XIV promet d'indemniser les habitants en leur attribuant la somme de 15000 livres. Premier versement de 255 livres en 1684... le reste sera versé en 1715, un an après la mort du roi ; cette somme servira à construire une nouvelle caserne qui abritera les soldats français.

    Je pourrais continuer encore cette longue liste. Je terminerai par la Loge de Mer à Perpignan défigurée un peu plus tard. A l'intérieur deux parties ; l'une, la plus grande, est réservée au commerce ; l'autre séparée par une magnifique balustrade en bois sculpté abrite la chapelle. Mailly décide de transformer la Loge en théâtre où seront donnés des spectacles en français. Pour cela, on détruit la balustrade et le plafond en caisson. Le tableau de la Sainte Trinité qui ornait la chapelle, se trouve actuellement au musée Rigaud.

    Un mot sur les rapports entre les Catalans du nord – les Roussillonnais – et les Catalans du sud. Depuis des siècles, il y avait des échanges commerciaux et des mariages. En y réfléchissant un peu, si nous remontons le temps, nous voyons les Wisigoths, puis les Romains, puis encore les ibères... à ces époques, les échanges et les unions ne se préoccupaient des frontières. Et voilà que Louis XIV interdit les mariages entre les jeunes gens du Roussillon et ceux de la Catalogne ! Et, pour la noblesse, sous peine de confiscation des biens. Malgré tout, j'ai noté un point positif : Mailly va conserver l'université de Perpignan fondée en 1360 par le roi Pere el Ceremonios, celui-là même qui avait fait bâtir le Castillet. Mais, ne nous réjouissons pas trop vite : la Révolution Française la supprimera en 1793 et continuera de lutter contre la langue catalane qui « abâtardit l'esprit ». Bref, la mort du Roi Soleil, la province du Roussillon, harcelée de toutes parts et brutalement séparée de Barcelone, est ruinée. Oui, il se peut que Louis XIV soit le bienfaiteur de Versailles, toujours est-il qu'il est le fossoyeur du Roussillon. Les Catalans finiront même par récompenser ceux-là même qui avaient brutalisé leur pays. Sinon, comment expliquer le nombres de rues Vauban à Villefranche, à Collioure, à Perpignan, etc. Les Occitans ont fait un autre choix : ils ont refusé de donner un nom de rue à Simon de Montfort qui, au XIIIème siècle, a pillé l'Occitanie au nom du roi de France. Pas de rue à son nom ni à Narbonne, ni à Carcassonne, ni à Albi.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon