• Le camp de concentration de Saint-Cyprien (1939-1941)

    De tous les camps créés à la hâte en 1939 lors de la « Retirada », celui de Saint-Cyprien semble le plus méconnu. Nous avons rassemblé les éléments disponibles pour essayer de reconstituer l’historique de ce lieu où ont souffert des milliers de réfugiés espagnols.

    Combien étaient-ils, ceux qui ont connu les affres d’un internement en ce coin du Roussillon ? Là aussi, les chiffres ne sont pas précis : 70000, 90000, peut-être plus.

    Les camps d’internement provisoire de notre région : Argelès, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Les Haras à Perpignan, ont été créés hâtivement à la suite de l’exode massif des républicains espagnols vaincus par l’armée franquistes, dans cette guerre civile qui durait depuis 1936. Début février 1939 les autorités françaises sont contraintes d’ouvrir la frontière derrière laquelle se massent des milliers et des milliers de réfugiés, hommes, femmes et enfants. Certains réfugiés, des paysans ont quitté leur village en emportant avec eux leur cheptel – chevaux, vaches, moutons – Devant cet afflux, les services français chargés de les accueillir sont rapidement débordés et, pour appliquer les directives du décret ministériel de novembre 1938 qui prévoit « l’internement administratif des étrangers considérés comme indésirables », ils vont d’abord improviser des camps situés le long de la frontière : Osséja, Mont-Louis, Latour-de-carol, Bourg-Madame, Prats-de-Mollo, Arles-sur-Tech, Le Boulou. Ces camps n’auront qu’une existence éphémère car ils seront immédiatement saturés. Le premier camp constitué où sont conduits les réfugiés espagnols est celui d’Argelès-sur-Mer – à noter que la municipalité, non consultée, est simplement informée qu’un camp est ouvert sur son territoire – et déjà le terme de « camp de concentration » est employé le 2 février 1939 par le ministre de l’Intérieur Albert SARRAUT. « Ce ne sera pas un lieu pénitentiaire : un camp de concentration, ce n’est pas la même chose » affirme-t-il.

    Le camp de l’Aygoual

     

    Le camp de concentration de Saint-Cyprien (1939-1941)

    Le camp (en bas à gauche) Collection Jean Josset

    Argelès étant lui aussi en surpopulation, de nouveau espaces sont recherchés et c’est à Saint-Cyprien, dans la zone marécageuse de « l’Aygual », sur le chemin départemental menant du village à la mer que va être installé un nouveau camp, d’une superficie de 184 hectares. Il longe la mer sur plus de 1500 mètres et aura une largeur de 1000 mètres environ. Les travaux de construction des baraques débutent le 4 février 1939 sur ce désert de sable et dès le 8, à partir de 14 heures, les gardes mobiles escortent les premiers réfugiés espagnols en provenance d’Argelès. Leur travail sera tout d’abord d’entourer le camp d’un réseau de barbelés sur trois côtés, le quatrième donnant sur la mer.

    Certains creusent des trous dans le sable pour atténuer les effets de la tramontane. En quelques jours, ils sont des dizaines de milliers sur cet espace vide battu par le vent et entouré de barbelés mais déjà, à l’entrée du camp, il a été dressé un monumental arc de triomphe métallique surmonté de deux drapeaux tricolores. Sur le fronton, on lit l’inscription : « Camp de concentration de Saint-Cyprien ». Ce qui va poser un problème immédiatement, c’est la situation sanitaire. L’eau, tirée des nappes peu profondes, de nature saumâtre, va être rapidement polluée par les déjections humaines et animales. Des épidémies de fièvre typhoïde et de diphtérie se déclarent quasi instantanément.

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    Pour se protéger du vent, du sable et du froid, les réfugiés tendent des couvertures sur les branchages

    À la fin des travaux de construction, le 1er juillet 1939, le camp comprend 649 bâtiments de planches et de tôles répartis sur 17 îlots. Certaines baraques en bois de style Lombardi ont une superficie pouvant aller jusqu’à 150 mètres/carrés. On les retrouve également dans les autres camps comme celui de Gurs, dans les Landes. Sur le plan, on peut lire la note suivante : « Système permettant une très grande rapidité d’exécution ». Eh oui, bien sûr, il faut aller vite, très vite et les baraques, livrées en éléments démontés, seront simplement fichées dans le sable, il n’y a pas de plancher prévu, pas de chauffage, pas d’électricité ni le moindre élément du plus élémentaire confort. Vont prendre place à l’intérieur jusqu’à soixante détenus. On relève sur le site 14 types différents de construction et certaine n’ont même pas de porte. Cependant, avant que les baraques ne soient mises en place, les réfugiés n’ont pour abri que des couvertures jetées sur des branchages alors que le froid est très vif.

     

    L’occupation du camp

    De février 1939 à janvier 1940, la population internée est pratiquement composée de réfugiés espagnols. Cependant, dès les premiers mois à cause de transferts dans d’autres camps, d’émigration vers les Amériques ou de retours – risqués – en Espagne, les effectifs décroissent. Certains ont également choisi de s’engager dans les rangs de la Légion Etrangère et d’autres encore obtiennent des permis de travail en France. En janvier 1940, le camp de Saint-Cyprien est pratiquement vide. Pas pour longtemps car, dès la fin mai 1940, les premiers trains amenant les Juifs expulsés de Belgique arrivent à la gare d’Elne. Cette « période juive », méconnue de la plupart de nos historiens, nous a été récemment révélée par le fils d’un interné qui a reconstitué l’identité des 4419 pensionnaires du camp. Il est intéressant de constater que, à cette occasion, le camp est devenu « Camp d’hébergement ». Nous savons également que la majorité des internés juifs de Saint-Cyprien a été ensuite envoyée dans les camps d’extermination nazis, via Rivesaltes ou Gurs puis Drancy.

    À ce jour, alors que l’historique du camp est à peu près connu, il reste tout de même une question sans réponse : Que faisait-on des morts ? Il n’est pas possible qu’il n’y ait eu que 50 décès dans ce camp peuplé de milliers de réfugiés alors que l’on sait que des épidémies dues à la mauvaise qualité de l’eau ont fait de nombreuses victimes. Bien sûr, on emmenait certains malades à l(hôpital de Perpignan où ont été constatés quelque 200 décès mais les historiens sont d’accord pour dire qu’il y a eu beaucoup plus de victimes. Que sont-elles devenues, le sable aurait-il été leur tombeau ?

    Après les catastrophiques inondations d’octobre 1940, le camp est à peu près déserté. Son démembrement débute fin octobre et durera jusqu’en septembre 1941. Quelques six mille piquets de fer seront cédés aux Ponts et Chaussées qui les utilisera pour consolider les berges dévastées de la Têt, l’Agly et le Tech.

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon »