• Le camp de Rivesaltes

    L'entrée du camp

    Entre 1940 et 1942, le camp Joffre, dît camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, est utilisé comme lieu d'internement et de transit pour les Républicains espagnols, les antinazis venus se réfugier en France, les tziganes et les juifs. Il est occupé par l'armée allemande à partir de novembre 1942. Après la guerre, y sont détenus les collaborateurs et des trafiquants du marché noir, ainsi que les prisonniers de guerre allemands. De 1962 à 1966, les harkis et leurs familles y sont regroupés. Aujourd'hui, l'histoire, les mémoires et la volonté des hommes ont réveillé ces lieux laissés à l'abandon pour bâtir un musée-mémorial. 

    Le camp de Rivesaltes 

    Les baraques

    Face à la beauté du Canigou, cette steppe aride est devenue le no man's land des promeneurs et des chasseurs, mais aussi un terrain propice à divers projets d'aménagement. Cependant, les traces du passé demeurent. Les précaires baraques disloquées par le temps et les pillages résistent, témoignent et nous interrogent : que s'est-il passé ici ? À partie de 1939, la construction du camp Joffre, sur 612 hectares, relève d'un décision militaire à l'étude depuis plusieurs années, d'établir sur ce site un centre de transit et d'instruction des troupes coloniales. Cette vocation militaire qui perdure jusqu'à nos jours va côtoyer, au gré de l'histoire, d'autres missions : l'internement des populations civiles et des soldats vaincus. Ce camp deviendra le dénominateur commun de ceux que la France considéra comme « indésirables », les internant non pour des délits commis sur son territoire mais pour le risque qu'ils étaient susceptibles de représenter. C'est à ce titre que 600000 personnes furent internées, en France, de 1938 à 1946, dans 200 camps. Rivesaltes n'est donc pas unique, mais appartient à ce réseau de lieux de relégation et d'exclusion qui maille cette période de notre histoires comme Gurs, les Milles, le Vernet, Drancy… Sa longévité fait une exception puisqu'il est témoin des drames successifs su XXème siècle : la guerre d'Espagne, la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, la guerre d'Algérie.

    En 1939, les camps des plages du Roussillon, ouverts en catastrophe pour interner les réfugiés de la guerre civile espagnole, sont surpeuplés. Dès 1940, les autorités vont, d'une part, faire avancer la construction du camp par ces travailleurs étrangers et, d'autre part, répartir peu à peu les familles d'exilés dans les nouveaux baraquements du camp militaire. Durant la période de Vichy, le camp deviendra le lieu d'internement et de transit pour les ressortissants étrangers, antinazis venus se réfugiés en France, juifs étrangers et tziganes.

     

    Le camp de Rivesaltes

    Des enfants dans le camp

    En janvier 1941, il prend le titre officiel de « centre d'hébergement de Rivesaltes » ayant la particularité de rassembler les familles, mais sans les regrouper, puisque hommes, femmes et enfants sont répartis dans des îlots différents. Les conditions de vie sont déplorables, la faim sévit, entraînant des cas de cachexie particulièrement graves pour les enfants ; l'insalubrité est chronique ; épidémies et vermine règnent. Seulement les œuvres de secours apportent quelque réconfort aux internés. En août 1942, la nasse se referme sur les juifs de la zone sud et Rivesaltes devient « centre régional de rassemblement des israélites ». Malgré la commission de « criblage » (commission chargée de retirer des listes les personnes considérées comme « non déportables » et le combat des œuvres de secours, neuf convois partiront entre août et octobre pour Auschwitz via Drancy, emportant vers la mort plus de 2300 personnes.

    En novembre 1942, le camp d'internement est définitivement fermé, pour faire place à l'armée allemande qui l'occupe jusqu'en août 1944. Après la guerre, il devient un centre de séjour surveillé pour les personnes internées dans le cadre de l'épuration (trafiquants du marché noir, collaborateurs) et jusqu'en mai 1948 il sera le « le dépôt 162 des prisonniers de guerre de l'Asie jusqu'à 10600 personnes, des Allemands principalement, dans des conditions très dures. À partir de 1962, l'histoire du camp croisera celle de la guerre d'Algérie, puisqu'il sera choisi comme lieu de transit pour les harkis et leurs familles après avoir servi de centre pénitentiaire pour les membres du FLN. Entre 1962 et 1964 environ 20000 personnes seront hébergées dans des conditions toujours aussi déplorables. Les dernières familles quitteront le camp en 1966 ( Il faut noter que, de 1985 à 2007, un îlot sera transformé à nouveau en centre de rétention administrative).

    Depuis la parution en 1978 du Mémorial de la déportation des Juifs de France, dans lequel Serge Klarsfeld mettait en évidence la place de Rivesaltes dans l'engrenage de la Shoah, et la menace, en 1997, de destruction du camp, de nombreuses voix se sont élevées pour sortir cette part d'histoire de l'oubli. Enseignants, journalistes, historiens, anciens internés, témoins, habitants, cinéastes, élus… se sont relayés pour éviter cette disparition programmée.

    En 1998, un collectifs de citoyens lance une pétition « Pour la mémoire vivante du camp de Rivesaltes », qui sera signée par plus de mille personnes dont Égard Morin, Simone Veil, Michel Boujenah, Claude Simon… Le président du Conseil général des Pyrénées-Orientales Christian Bourquin propose de relayer cette démarche parvenant ainsi à faire annuler la destruction du site. Dès 2000, l'îlot F (42 hectares) est inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques et le Conseil général s'engage dans un processus de création d'un musée mémorial. Il s'entoure alors des compétences de Denis Peschanski, historien chercheur au CNRS, qui accompagne, depuis le projet et rassemble autour de lui un conseil scientifique d'envergure.

    Le camp de Rivesaltes

    Le camp îlot F

    En 2005, le Conseil général fait l'acquisition de l'îlot F et lance le concours dont l'architecte Rudy Ricciotti sera le lauréat grâce à une proposition audacieuse et particulièrement respectueuse du site. Dans le même temps, une mission de préfiguration permet de structurer la projet et de le lancer, sous l'égide du conseil scientifique, la recherche historique nécessaire à l'élaboration du contenu scientifique et muséographique. Un service pédagogique, soutenu par l'Éducation nationale est mis en place en 2006. Ce projet qui s'inscrit dès lors dans le réseau des lieux de mémoire et d'histoire, se consolide aussi par les conventions de partenariat avec le mémorial de la Shoah, le musée de la croix-Rouge, le musée-mémorial de l'Holocauste à Washington. La connivence avec les institutions espagnoles est très forte, compte tenu de la proximité géographique de la présence au niveau régional de nombreuses familles d'origine espagnole issues de l'exil, et surtout du développement de la politique mémorielle relative à la guerre civile et ses conséquences, impulsée depuis plusieurs années. Cet intérêt se traduit par une augmentation constantes des visites scolaires et associatives en provenance de Madrid et Barcelone. Ce travail mené en amont du projet architectural, permet d'expérimenter une médiation culturelle adaptée aux différents publics en s'appuyant sur les cérémonies commémoratives, les événements tels que les journées européennes du patrimoine, des expositions ou colloque organisés en partenariat avec d'autres institutions. Cette phase de préfiguration, qui, en 2010, sera accompagnée par la finalisation du projet architectural et muséographique, a pour ambition la sensibilisation et la constitution du futur public du musée-mémorial par le partage des savoirs et la rencontre des mémoires.

    Article paru en février 2010 dans « Les Chemins de la Mémoire »





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