• Le général Amédée Fabre (1892-1975)

    Plus qu'un soldat…

    Le général Amédée Fabre (1892-1975)

     

    « J'ai beaucoup reçu, je dois beaucoup donner ! » Telle était la devise de ce fils de paysan roussillonnais devenu meneur d'hommes et qui a su se faire apprécier sur tous les théâtres d'opérations, civils ou militaires.

    C'est un destin peu commun, le fils d'un berger roussillonnais qui devient général dans l'armée française ! Jacques Fabre, son père, et Thérèse Serradell, sa mère, sont bergers au mas Salvat à Alénya lorsque naît Amédée, le 16 juin 1892. Il sera l’aîné d'une fratrie de quatre enfants, deux filles et deux garçons. Et ses origines modestes, loin d'être un handicap, seront en fait le fil conducteur de sa vie où l'homme, qu’elle soit la couleur de sa peau, sera toujours son égal.

     Difficile, sans doute, lorsque l'on est militaire, de surcroît officier supérieur et envoyé dans les « colonies », de ne pas tomber dans le piège de la supposée supériorité dont certains blancs ont usé et abusé. Ce chapitre de l'histoire de la France n'est pas près, hélas, d'être refermé. C’est en 1910, à peine âgé de 18 ans, qu'Amédée s'engage comme simple soldat dans l'armée pour une période de quatre ans. Il fait la première guerre du Rif, en 1912 au Maroc puis revient en métropole alors que ce déclare la grande guerre 14/18. Il sera blessé deux fois, à Jalnay en août 1914 puis à Massiges en septembre 1915 peu après avoir été nommé sergent.

    Dès janvier 1916, il rejoint le front, est promu sous-lieutenant et obtient une citation à l'ordre du régiment, le 24ème R.T.S. de Perpignan, pour sa bravoure et son sang-froid. Le 26 août 1916, lors d'une courte permission, il épouse Yvonne GREFFE, fille d'un lorrain expatrié à Paris en 1871, après l'annexion de la Lorraine par l'empire allemand. Une petite cousette qui a suivi l'ascension de son époux sans jamais renier son passé. Le ménage a eu deux garçons dont l'un est décédé à Hanoï de la maladie bleue à 11 jours.

    Lieutenant en 1918, il se signale lors des attaques d'Herpy, puis des combats autour de Reims, sur la Suippe et sur l'Aisne. À la signature de l'armistice, le 11 novembre 1918, il est envoyé en Allemagne puis désigné pour l'Indochine en décembre 1919. Affecté au 2ème Régiment de Tirailleurs Tonkinois comme officier instructeur, il est noté par se supérieurs comme « excellent officier d'une valeur très supérieur à celle des officiers sortis de la guerre ». En février 1923, il retourne en métropole, affecté à Perpignan au 24ème R.T.S où il est promu capitaine en septembre.

    1925 le voit repartir vers le Maroc avec son régiment pour la deuxième guerre du Rif. Sa compagnie est encerclée par les Rifains et le capitaine Fabre sera un moment considéré perdu. À la suite de cette terrible campagne, il est rapatrié en France et affecté au Centre Mobilisateur de Fréjus où il reste quatre ans.

    En décembre 1930, il est désigné pour Madagascar et affecté au 2ème Régiment de Tirailleurs Malgaches à Diego-Suarez. Il y sera promu commandant, chef de Bataillon en juin 1933 avant de retrouver la France en août  et il sera affecté au 14ème R.T.S. de Mont-de-Marsan.

    Septembre 1936, nouveau départ pour l'Indochine où il rejoint le 9ème R.I.C. à Hanoï. Il est nommé pour former le 2ème Bataillon de Marche de Chine, une unité d'élite chargée de la protection de la Concession Française à Shanghai lors de la guerre sino-japonaise de 1937/1939. Il parvient à éviter l'invasion de la Concession par les troupes japonaises grâce à sa fermeté qu'il dira avoir joué à pile ou face.

    En juin 1939, le commandant Fabre est rapatrié en France, au 24ème R.T.S. de Perpignan. Il est élevé au grade de lieutenant-colonel trois jours après qu'on lui a signifié son départ vers le front. La deuxième guerre mondiale vient de commencer.

    Durant la « drôle de guerre », Amédée Fabre s'occupe de l'hivernage des soldats sénégalais dans le Midi. Puis c'est le retour au front en avril 1940 et il est fait prisonnier lors des combats sur la Somme. Il restera en captivité en Allemagne et en Pologne du 10 juin 1940 au 26 mai 1945 dont deux années en camp spécial tenu par les S.S. Promu colonel en 1941, il est rayé des contrôles par bénéfice de dégagements des cadre en mai 1946 et nommé Général de Brigade le 1er septembre 1946, placé dans la 2ème Section du cadre de l'État-major de l'Armée de terre.

    Amédée Fabre et son épouse se sont retirés à Toulon auprès de leur fils Claude. Le général y décédera en 1975 et son épouse en 1989.

    Fabre le bâtisseur

    Lorsqu'il arrive à Madagascar début 1931, Amédée Fabre est affecté au commandement de la compagnie d'infanterie coloniale qui occupe Ankorika, un poste érigé par Joffre vers 1897 et situé sur le plateau montagneux qui domine Orangea et Ramena, un village de pêcheurs. C'est la brousse dans toute sa splendeur mas aussi sa pauvreté. L'eau vient de deux puits à faible débit, pas d'électricité et les bâtiments ont souffert d'un manque d'entretien.

    Le premier travail de l'officier Fabre va être d'établir un réseau d'eau. Joffre, à l'époque, avait imaginé de l'amener de la montagne par un canal de 15 km qui, mal entretenu, était très vite retourné à la brousse. Fabre va prendre l'idée de Joffre mais, au lieu de construire un canal superficiel, il va créer une canalisation enterrée, sécurisée, en utilisant un matériau abondant ici et gratuit : les bambous de grand diamètre, mis bout à bout par des manchons également en bambou scellés par de l'argile durcie au feu. Pour remonter l'eau jusqu'au cantonnement, on va utiliser une pompe à incendie à piston mue par un mulet. La précieuse eau sera ainsi élevée jusqu'à un château d'eau et distribuée ensuite au casernement et dans toutes les habitations, en utilisant les bambous de différents diamètres.

    Le 24 décembre 1931, la desserte d'eau est inaugurée et, comble de raffinement, les lieux habités ont été pourvus de WC à chasse d'eau !

    Ce problème étant résolu, Fabre décide de ravaler les constructions et, là aussi, il va utiliser ce que la nature met à sa disposition : l'argile, dont un bon filon se situe non loin de l'arrivée d'eau. Une briqueterie est créée et les bâtiments, à peu de frais, vont retrouver une fière allure.

    Reste encore à solutionner le problème de la nourriture et, encore une fois, le bon sens paysan, sans doute inné, du capitaine Fabre, va faire merveille. L'eau étant désormais abondante, il met en œuvre un ambitieux programme de cultures et d'élevage qui transforme radicalement la vie du poste et des indigènes.

    Mais là où l'ingéniosité – ou le génie – de Fabre s'exprime pleinement c'est lorsqu'il parvient à fabriquer des filets de pêche en utilisant la toile de vieux pneus stockés chez un chinois de Diego-Suarez.

    Lorsqu'il quitte Madagascar alors qu'il est promu commandant, Amédée Fabre laisse derrière lui deux populations qui s'apprécient et s'estiment, car les indigènes ont toujours été associés à ses réalisations.

    Shanghai 1938-1939

    A cette époque, à Zi Ka Wei, en territoire chinois, le gouvernement de Tchang Kaï-Chek avait alloué une zone aux Missions Chrétiennes européennes eu égard au célèbre observatoire astronomique que les Pères Jésuites y avaient implanté en 1873. Or, chine et Japon sont en guerre et les forces japonaises, repoussant devant elles les troupes chinoises arrivent en vue de cette zone où sont réfugiés plusieurs milliers de familles chinoises fuyant l'envahisseur dont la réputation de sauvagerie est bien connue. Contiguë à la Concession Française, cette zone va être le théâtre de grands massacres si rien n'est tenté. Le commandant Fabre, en accord avec le RP Pierre Legay, directeur de l'Observatoire, va prendre l'initiative de porter ses troupes à la limite de la zone de Zi Ka Wei, là où les troupes japonaises vont tenter de passer. Un général japonais, parlant le français, est dépêché sur place pour faire évacuer les soldats français mais c'est Fabre qu'il trouve de l'autre côté des barbelés. Le japonais demande, puis exige, puis somme les Français de partir, d'abord doucereux et ensuite hurlant. Impassible Fabre ne cède pas. Il avouera ensuite que, sous un calme apparent il n'était pas véritablement rassuré et combien une existence pouvait se jouer à pile ou face, suivant les décisions que l'on était amené à prendre. Cette conduite lui valut de prendre en charge l'administration de  Zi Ka Wei et il érigea la zone en Commune indépendante qu'il administra comme un maire avec un Conseil Municipal qu'il avait fait élire par les Chinois, appliquant le principe de l'égalité entre eux et les Européens. En 1960, le général Fabre est fait Commandeur de Saint-Grégoire le Grand sur ordre du pape Jean XXIII pour les immenses services rendus aux missions catholiques françaises de Shanghai lors de la guerre sino-japonaises. Il fut décoré par Monseigneur Mazerat, évêque de Toulon, avec lequel il avait été prisonnier de guerre en Pologne.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon

    P.S.: Pour les personnes qui seraient intéressées, je peux fournir les actes de décès, mariage et naissance.