• Élisabeth Eidenbenz

    L'âme de la maternité de Elne (1939-1944)

    Élisabeth Eidenbenz  Élisabeth Eidenbenz

    Après deux passés sous les feux de la guerre civile d'Espagne, la jeune humanitaire suisse va créer à Elne une structure destinée à accueillir les femmes sur le point d'accoucher qu'elle va récupérer dans l'autre enfer des camps de réfugiés de Argelès et de Saint-Cyprien.

    30 janvier 1939 : À la frontière du Perthus, un camion de l'Aide Suisse transportant des enfants remorquait un autre camion en panne de carburant et qui, lui même , en remorquait un troisième à moitié détruit. Les infirmières surveillaient les enfants de descendre pendant qu'un responsable négociait avec les gendarmes français de la frontière pour obtenir d'eux qu'ils nous escortent jusqu'à l'hôpital de Perpignan. Finalement, nous avons pu y arriver et donner un repas chaud aux quatre-vingt quatre enfant du convoi qui, exténués, purent enfin dormir sur des matelas à l'hôpital ».

    Si cet épisode n'est que l'un des aspects, heureux celui-ci, de ce que fut la tragédie de la « Retirada », il est aussi le début d'un extraordinaire mission de sauvegarde d'enfants au cours de la seconde guerre mondiale. L'une des héroïnes de cette aventure est une jeune institutrice suisse, Élisabeth Eidenbenz. Mais revenons quelque peu en arrière.

    Dès septembre 1936, les organisations humanitaires de la Suisse observent avec inquiétude l'anéantissement de la population civile espagnole victime des bombardements franquistes. Manquent cruellement des vivres, une assistance médicale et des moyens de déplacement.

    Mais comment procéder s'en s'immiscer dans les intérêts partisans de ce conflit interne ?

    Rodolphe Olgiati, alors secrétaire du Service Civil International de la délégation suisse, vient en Espagne en janvier 1937et rencontre les représentants du gouvernement républicains ainsi que les diverses organisations d'aide internationale. Seuls, les délégués de Franco rejettent toute idée d'aide en zone occupée. Pourtant, Olgiati va donner la priorité à l'évacuation de la population civile de la zone de Madrid, Valencia et la Catalogne. Pendant ce temps, en Suisse, une action conjointe d'aide à l'Espagne se mettait en place et qui allait donner jour à l'Aide Suisse aux Enfants d'Espagne.

    Le 24 avril 1937, un convoi de volontaires parmi lesquels se trouve Élisabeth Eidenbenz, 24 ans, arrive en Espagne avec quatre camions chargés de vivres, de linge, de chaussures et de divers articles de première nécessité. Cette première expédition sera suivie d'autres et ces volontaires, pendant deux ans, travaillent en faveur de la paix et de la liberté mais vont devoir reculer au milieu de l'exode républicain. Et ce recul les amène jusqu'à la frontière française qui verra passer plus de 400000 réfugiés en ce début d'année 1939.

    L'Aide Suisse aux Enfants d'Espagne devient le Cartel Suisse d'Aide aux Enfants Victimes de la Guerre et l'organisation se met en recherche d'un local, proche des camps de réfugiés totalement saturés pour prendre en charge les femmes en état d'accoucher. Une maison inoccupée à Brouilla sera rapidement remise en état et, doté de vingt lits, ce refuge accueillera les premières femmes qu'Élisabeth, au volant de sa fourgonnette récupérée lors de l'exode, ira prendre en charge dans les camps. Mais cette maison se révélera rapidement trop exiguë pour ce qu'on attend d'elle. En se rendant au marché de Elne, Élisabeth avait bien remarqué, à l'entrée du village, une sorte de château qui semblait abandonné, doté d'une coupole en verre du plus bel effet, au milieu d'un grand espace planté d'arbres. L'endroit idéal, pensait-elle, pour y aménager une véritable structure d'accueil. C'était l'ancien château des Bardou, la famille des industriels bien connus pour leur papier à cigarettes. Consultée à Zurich par Élisabeth, l'Association de l'Aide Suisse réunit 30000 francs suisses et initie rapidement les travaux de remise en état de la demeure.

    De fin 1939 à 1944

    Entre-temps, la France était également entrée en guerre ce qui ne facilita pas les démarches au quotidien d'une organisation étrangère, fut-elle humanitaire. Pour y faire face, un service d'approvisionnement bimensuel venant directement de Suisse fut organisé, les véhicules utilisant les corridors sanitaires de la Croix Rouge Internationale. Ainsi, pendant toute la période de fonctionnement de la Maternité de Elne, celle-ci fut approvisionnée en lait condensé ou en poudre, en chocolat, fromages, conserve de légumes et de fruits, sucre, riz et farine. Le terrain environnant fut mis en culture et produisit légumes et fruits frais. Des animaux domestiques fournirent également de la viande et des œufs. Pour toutes ces taches nécessitant de la main-d'œuvre, Élisabeth parvint à obtenir des autorités le permis d'utiliser des hommes internés dans les camps, certains étant proches parents des accouchées, familiarisés avec le travail de la terre ou de la ferme. Une association humanitaire norvégienne se signala par l'expédition de fonds qui furent utilisés pour les dépenses quotidiennes de fonctionnement.

    L'École d'Infirmières Suisse mit à la disposition d'Élisabeth deux ou trois jeunes filles tous les six mois ainsi que, de manière intermittente, une sage-femme.

    Élisabeth Eidenbenz, promue directrice de la Maternité dès sa mise en activité, parlait l'espagnol, le catalan et le français, ce qui était quasiment indispensable pour un poste de ce type. Ne ménageant ni son temps ni sa peine, elle fit de ce lieu « une île de paix au milieu de l'enfer » où furent mis au monde 597 enfants, de décembre 1939 à fin avril 1944, date à laquelle l'autorité allemande occupante donna trois jours à Élisabeth Eidenbenz pour abandonner et fermer définitivement la maternité. Elle rejoignit l'Aveyron pour s'occuper d'une colonie de vacances.

    En 2002, Élisabeth recevait de l'État français la médaille des Justes de la Nation en même temps que le gouvernement d'Israël la citait pour son action en faveur des Juifs persécutés.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon