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    Ernest Ferroul

     

    Ernest Ferroul né au Mas-Cabardès, le 13 décembre 1853 et décédé à Narbonne, le 29 décembre 1921 il joua un rôle déterminant lors de la révolte des vignerons du Midi en 1907.

    Biographie

    Né dans une famille de modestes drapiers de la Montagne Noire, orphelin de père, après des études de médecine à Montpellier, Ernest Ferroul s'installe à Narbonne où, rapidement, il devient le « Docteur des Pauvres », réputé pour ses compétences.

    La crise viticole

    Après la crise du phylloxéra, il faut du vin. Le vignoble de l'Île-de-France a disparu, seuls les vignobles méridionaux peuvent s'y substituer grâce aux chemins de fer. On n'hésite donc pas à « faire pisser la vigne ». L'État favorise des importations et de l'afflux des vins d'Algérie qui servent au coupage des vins métropolitains médiocres. Cette pratique est lourde de conséquences et induit une surproduction qui est la véritable raison du marasme économique dans lequel s'englue la viticulture du Languedoc-Roussillon. Le port de Sète, outre son rôle d'entrepositaire, va jouer celui de catalyseur de la crise. Sa présence au centre d'une grande zone de production, y induit les risques de surproduction en encourageant les plantations d'aramons et des conduites de la vigne en taille longue. Il faut du volume. Le coupage nécessaire de ces petits vins pour en augmenter le degré, provoque une demande accrue des vins algériens dont la production passe de 5000000 d'hectolitres en 1900 à 8000000 en 1904.

    Ces fortes productions locales, jointes à la production de vins factices et à l'importance des coupages avec des vins d’Algérie sature le marché de consommation. L'importation des vins, loin de diminuer, augmente en 1907, aggravant le déséquilibre entre l'offre et la demande. Ce qui génère la chute des cours et de la crise économique.

    Les viticulteurs manifestent

    Le mois de mai 1907 va être celui des grands rassemblements dans les préfectures et sous-préfectures du Languedoc-Roussillon. Le premier a lieu à Narbonne où le 5 mai, un meeting mobilise entre 80 et 100000 personnes. Le maire, Ernest Ferroul, prend position pour la lutte des viticulteurs du Midi. Tous les comités de défense viticoles des quatre départements se fédèrent et adoptent le serment des fédérés : « Constitués en comité de salut public pour la défense de la viticulture, nous nous jurons tous de nous unir pour la défense viticole, nous la défendrons par tous les moyens. Celui ou ceux qui, par intérêt particulier, par ambition ou par esprit politique, porteraient préjudice à la motion première et, par ce fait, nous mettraient dans l'impossibilité d'obtenir gain de cause seront jugés, condamnés et exécutés séance tenante ». Les discours séparatistes prononcés en occitan inquiètent le gouvernement.

    Le 12 mai, le rassemblement de Béziers voit 150000 manifestants envahir les allées Paul Riquet et le Champ-de-Mars. Les slogans des banderoles affirment : La victoire ou la mort !, Assez de parole, des actes, Mort aux fraudeurs, Du pain ou la mort, Vivre en travaillant ou mourir en combattant. Les manifestants, qui venaient de plus de 200 communes, ont été rejoints par de nombreux employés et commerçants bittérois. La manifestation est clôturée par les discours prononcés sur la place de la Citadelle, aujourd'hui Jean-Jaurès. Prennent la parole Marcelin Albert, du Comité d'Argelier, qui a initié le premier la riposte. Il lance un ultimatum au gouvernement en lui demandant de relever le cours du vin, Ernest Ferroul qui prône la grève de l’impôt et le maire de Béziers, Émile Suchon, proche de Clemenceau, qui prend position pour les viticulteurs en lutte. Il y eut quelques incidents légers lors de l'appel à la dispersion des manifestants.

    Le 16 mai, le conseil municipal de Béziers, de tendance radicale socialiste, démissionne. La pression de la rue continue. Le poste de Police et la façade de la mairie sont incendiés. Alerté Clemenceau décide de contre-attaquer. Sa première contre-attaque est sur le plan politique. Le 22 mai, Joseph Caillaux, son ministre des finances, dépose un projet de loi sur la fraude en matière de vin. Ce texte soumis au Parlement prévoit une déclaration annuelle de récolte de la part des viticulteurs, l'interdiction du sucrage en seconde cuvée, le contrôle et la taxation des achats de sucre.

    Le 26 mai, 220 à 250000 personnes manifestent à Carcassonne. Dès l’avenue de la gare, ils passent sous un arc de triomphe où est inscrit « Salut à nos frères de misère ». Les discours du meeting tentent de canaliser le ton révolutionnaire (slogans, revendications) vers le passé cathare des Occitans que Ferroul et Albert évoquent tour à tour. Tous conviennent que la date limite de l'ultimatum au gouvernement reste fixée au 10 juin.

    La date du 9 juin 1907, avec le gigantesque rassemblement de Montpellier va marquer l'apogée de la contestation vigneronne dans la Midi de la France. La place de la Comédie est envahie par une foule estimée entre 600 à 800000 personnes. C'est la plus grande manifestation de latroisième République. Dans son discours, Ernest Ferroul, en tant que maire de Narbonne appelle à la démission de tous ses collègues du Languedoc-Roussillon. Il prône ouvertement la désobéissance civique. Quant à Marcelin Albert, il prononce un tel discours que le journaliste du Figaro en fut bouleversé et écrivit : « C’était fou, sublime, terrifiant ».

    Le 10 juin, marque la fin de l’ultimatum posé au gouvernement. Tandis que Clemenceau compte sur un pourrissement et un essoufflement de la révolte, la commission parlementaire dépose son rapport au Parlement qui entreprend l’examen du projet de loi de Caillaux. Face à une lenteur législative calculée, à Narbonne, Ernest Ferroul décide d'annoncer publiquement sa démission de maire. Devant 10000 personnes, du haut du balcon de l’Hôtel de Ville, il fait savoir « Citoyens, citoyennes je tiens mon pouvoir de vous, je vous le rends ! La grève municipale commence ». Cette prise de position face à l'absence de solution gouvernementale, est approuvée par 442 municipalités du Languedoc-Roussillon qui démissionnent dans la semaine. Des drapeaux noirs fleurissent sur les façades des mairies et la désobéissance civique est déclarée. C'est la fronde des élus. Pendant ce temps des heurts entre manifestants et forces de l’ordre deviennent monnaie courante.

    Le 12 juin, Clemenceau adressait une missive mi-menaçante, mi-ironique à tous les maires des communes viticoles du Languedoc et du Roussillon. Ce qui lui valut une cinglante réplique de la part d'Ernest Ferroul : « Monsieur Clemenceau, depuis le commencement de nos manifestations, nous a considérés comme de grands enfants, bons garçons, mais inconscients de leurs actes. Il est de ceux qui pensent que dans le Midi tout finit par des chansons ou des farandoles. Il se trompe grandement, il ne nous connait pas ».

    La répression

    Arrestation du docteur Ferroul, le 19 juin 1907 à 4 h du matin

    Jusqu'alors, les manifestations dominicales s'étaient déroulées dans le calme et la discipline. Elles se voulaient pacifiques. Mais Clemenceau jugea que force devait rester à la loi et pour rétablir l'ordre fit appel à l'armée. Depuis le 17 juin, 22 régiments d’infanterie et 12 régiments de cavalerie occupaient tout le Midi. La gendarmerie reçut alors ordre d’incarcérer les responsables des manifestations.

    Le 19 juin, le docteur Ferroul est arrêté au petit matin à son domicile à Narbonne par le 139e régiment de cuirassiers, et emprisonné à Montpellier. Trois autres membres du comité de défense viticole se livrent aux gendarmes à Argeliers. La nouvelle de l'arrestation programmée de tous les membres du Comité d'Argeliers met le feu aux poudres.

    La foule entrave la progression des gendarmes en se couchant par terre. Narbonne est en état de siège, une manifestation spontanée se crée qui réclame la libération des membres du Comité et crie à la vengeance. Des incidents éclatent durant toute la journée, la sous-préfecture est prise d'assaut, des barricades barrent les rues. Le soir, dans la confusion générale, la cavalerie tire sur la foule. Il y a deux morts, dont un adolescent de 14 ans.

    Dans les départements du Gard, de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales, les conseils municipaux démissionnent collectivement - il y en aura jusqu'à 600 - certains appellent à la grève de l'impôt. La situation devient de plus en plus tendue, les viticulteurs furieux attaquent perceptions, préfectures et sous-préfectures.

    Le lendemain 20 juin, la tension monte encore et le Midi s'embrase. À Perpignan, la préfecture est pillée et incendiée. Le préfet David Dautresme doit se réfugier sur le toit. À Montpellier, la foule se heurte aux forces armées. À Narbonne, l’inspecteur de police Grossot, l'un des auteurs de l’arrestation de Ferroul, est pris à partie et mis à mal par la foule. Pour le dégager, il est donné ordre à la troupe de tirer sur les manifestants. Les coups de feu font cinq morts dont une jeune fille, âgée de 20 ans, Julie (dite Cécile) Bourrel qui se trouvait là par hasard, venue à Narbonne en ce jour de marché. Il y a de plus 33 blessés qui gisent à terre.

    Le 22 juin, à Narbonne, 10000 personnes assistent aux obsèques de Cécile. Cet enterrement fut la dernière grande manifestation du Midi viticole. Entretemps, le Parlement ayant renouvelé sa confiance au gouvernement, L'Humanité de Jaurès constate en cinq colonnes à la une « La Chambre acquitte les massacreurs du Midi ».

    Sortie de crise

    Pourchassé par la police, Marcelin Albert se cache puis se sauve à Paris où il arrive le 22 juin. L'Assemblée nationale, en plein débat sur le projet de loi contre la fraude, refuse de le recevoir. Informé, Georges Clemenceau, accepte de lui accorder une audience. Le président du conseil, le reçoit le 23, place Beauveau en tant que ministre de l'Intérieur.

    Au cours de leur entrevue, il fait promesse de réprimer la fraude si, en contrepartie, Albert retourne dans le Languedoc pour calmer la rébellion. Son interlocuteur accepte même de se constituer prisonnier. Clemenceau lui signe un sauf-conduit pour retourner dans l’Aude et lui remet cent francs pour payer son retour en train. Marcelin Albert a la naïveté d'accepter.

    Le chef du gouvernement va en profiter pour donner sa version aux journalistes de la presse politique en mettant particulièrement en exergue l'histoire du billet de banque. Les quotidiens nationaux en font leurs choux gras et Marcellin Albert du statut de rédempteur passe dès lors à celui de vendu. Le 24 juin, de retour à Narbonne, il tente de convaincre de suspendre le mouvement. Mais l’entretien avec Clemenceau a totalement discrédité Albert aux yeux de ses compagnons. Il manque de se faire lyncher.

    Confédération générale des vignerons du Midi

    Le15 septembre, sort le dernier numéro du Tocsin qui devient le Vendémiaire. La page Marcelin Albert est définitivement tournée. Une semaine plus tard, le 22 septembre, le Comité de Défense Viticole se dissout en se constituant en Confédération générale des vignerons du Midi (CGV). Il se fixe comme mission principale la lutte contre la fraude et la protection des intérêts sociaux et économiques des producteurs. Le premier président de la CGV fut Ernest Ferroul et Élie Bernard fut son Secrétaire Général.

    Depuis le 2 août, tous les dirigeants emprisonnés, membres du comité d’Argeliers, avaient été libérés en signe d'apaisement. Le 5 octobre, les personnes considérées comme les responsables des manifestations et des émeutes sont déclarées passibles de la cour d’assise. Mais de recours en appels, le procès n’aura jamais lieu et tous furent graciés en 1908.

    Ses discours enflammés et sa rudesse vis-à-vis du pouvoir parisien font de lui le personnage emblématique de tout le Midi et le tribun unique de la viticulture méridionale depuis le discrédit d'Albert.

    Il reste au XXIème siècle une personnalité légendaire et vénérée de tout le Midi et de la ville de Narbonne, laissant le souvenir du tribun rouge solidaire des opprimés, de l'élu dévoué pour les vignerons, pour sa ville de Narbonne et pour ses concitoyens, à la forte conviction socialiste. En déférente reconnaissance, dans de nombreuses communes du Midi, une rue, une avenue, un boulevard portent son nom.

    Article tiré de Wikipédia





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