• Histoire parue dans le « Journal de Béziers de Novembre 2003 »

     

    On connaît la trame du célèbre conte d'Alphonse DAUDET

     

    Un jeune paysan de Camargue est amoureux fou d'une belle Arlésienne qu'il s'apprête à épouser et dont il apprend un jour l'infidélité. Il en perd la raison et se précipite du haut d'une tourelle pour aller mourir d'amour sous les yeux de sa mère. De ce drame, Georges BIZET allait faire l'une de ses plus belles oeuvres avec « Carmen ».

    Ce que l'on sait beaucoup moins, ce que beaucoup ignorent , c'est que cette Arlésienne dont on parle dans tout le drame mais que l'on ne voit jamais !, a bel et bien existé. Mais cette Arlésienne n'était pas Arlésienne :

     

    C'était une jeune et belle Biterroise.

    L'histoire commence donc à Béziers vers la moitié du 19ème siècle. Il existait à cette époque, rue Massol, dans les locaux actuels de l'Espace Riquet, l'Ecole Saint Dominique que dirigeaient les frères de la Doctrine Chrétienne. La réputation de cet établissement était si bien établie, son enseignement si recherché, que beaucoup de jeunes gens, venus de loin, venaient y faire leurs études à l'initiative de leurs parents. Et parmi ces élèves se trouvait un certain François Mistral un petit-neveu du grand Félibre de Maillane.

    Ses parents avaient recommandé François à une famille Biterroise qu'ils connaissaient fort bien et qui veillait sur lui. Lors de ses sorties, le jeune homme, qui était placé en internat, était chaleureusement reçu dans cette famille qui résidait Place Garibaldi. François était d'autant plus pressé de se rendre régulièrement Place Garibaldi, qu'il rencontrait la fille unique de cette famille d'accueil, une ravissante jeune fille prénommée Marie. Et ce qui devait arriver éclata un beau jour aux yeux de tous : François et Marie étaient tombés amoureux. Pour François, la première et absolue passion de sa jeune vie. Pour Marie, la suite des évènements révèlera qu'il en était tout autrement.

    Les Fiançailles sont décidées. Nous sommes en 1862. François rentre chez lui, à Maillane, pour y passer les vacances et revoir sa famille qui se languit de lui. Une longue correspondance s'établit entre les deux jeunes gens, lettres enflammées où ils se disent leur passion à longueur de lignes.

    François nage en plein bonheur. Mais soudain, pour le petit-neveu de Frédéric Mistral, dont les parents viennent d'acheter la bague de fiançailles de la future épouse, c'est l'inconcevable et terrible nouvelle. Des renseignements dignes de foi, parvenus de Béziers, sont formels :

    Marie a un amant, Marie aime un autre homme. C'est comme si tout le ciel de sa belle Provence était tombé sur la tête de François. Son amour, si pur, si absolu, son premier amour, était bafoué, renié. Des tentatives seront faites, par les parents de la jeune Biterroise, pour "Arranger les choses", pour relancer les fiançailles, pour offrir un mariage rapide. En vain. François est de ceux qui dans la vie n'aiment qu'une fois. Dés lors ce n'est plus le même jeune homme, heureux et plein de vitalité, que connaissaient ses parents et amis. Il s'enferme dans un grand silence douloureux : Le mal a fait son oeuvre.

    Et le jour de la grande fête de Maillane, c'est le drame. Vers cinq heures du matin, la dernière farandole vient d'être dansée et s'éteignent les derniers lampions. Soudain un immense cri s'élève tout au bout du village, au Mas du Juge, lieu de naissance de Mistral. Ce cri qui a traversé la nuit, c'est celui de la mère de François. L'amoureux fou de Marie la Biterroise vient de se jeter de l'étage supérieur de la vieille bâtisse.

    Serrant son enfant mort dans ses bras, une maman brisée clame sa douleur. La mort tragique de François, ce petit-neveu qu'il aimait beaucoup, bouleverse Frédéric Mistral, d'autant plus qu'il connaissait tous les dessous de cette triste affaire, François lui ayant ouvert son cœur. Et Mistral parle un jour de François et de sa belle Biterroise à son grand ami Alphonse Daudet, tous deux se rencontrant souvent, soit à Maillane soit chez Daudet à Fontvieille. Ce drame bouleverse aussi Daudet. Avec son immense talent, il en fait un conte qu'il insère dans les fameuses « Lettres de mon moulin » où Marie l'infidèle deviendra tout simplement l'Arlésienne.

    Daudet allait tirer plus tard de ce conte un drame en trois actes que Georges Bizet mettra superbement en musique.

    A la parution de « L'Arlésienne » Frédéric Mistral aurait écrit à Daudet :

    « Le fait est raconté comme si tu l'avais vu » !. Mais selon certaines sources, la révélation de cette tragédie par Daudet aurait suscité l'irritation de Mistral et provoqué une brouille passagère entre les deux amis.

    Toujours est-il ; que le samedi 27 juin 1863, un an après la mort tragique de François, un grand mariage avait lieu à Béziers : Marie épousait l'héritier d'un industriel de notre ville. Jamais le nom de la jeune fille n'a été révélé par aucun chroniqueur par respect pour sa famille.

    « L'Arlésienne » repose aujourd'hui au cimetière St Lazare à Montpellier.

    Jean AZAÏS





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