• Janvier 1939 : un long fleuve de misère

    7 janvier 1939. Cols d'Ares, Prégon et Sizern au-dessus de Prats-de-Mollo, col du Perthus, Cerbère, Las Illas-Maureillas, Saint-Laurent-de-Cerdans, Bourg-Madame ou encore Port d'Envalira, toutes les portes du département cèdent sous la poussée.

    Femmes, enfants, vieillards, ils arrivent par dizaines, par centaines par les routes carrossées mais également par les chemins muletiers et de contrebande, le plus souvent à pied, quelquefois dans la neige, le visage hâve, certains fiévreux, le ventre souvent vide, un valise ou un baluchon pour tout bagage ou, au contraire, accompagnés d’animaux. Le résumé d’une vie de labeur.

    Bientôt ils seront suivis par les militaires et les miliciens débandés, valides, malades ou blessés, le plus souvent en armes, presque toujours ingambes, quelquefois montés sur leurs chevaux ou au volant de leurs engins motorisés Ils, ce sont ces milliers de réfugiés espagnols qui fuient leur pays, l’Espagne, leur région, la Catalogne, talonnés par l’avancée inexorable des troupes du général Franco. Les républicains ont perdu la guerre contre les nationalistes !

    Barcelone est tombée le 26 janvier. Exode sans précédent dans l'histoire moderne, des confins de l’Andorre à Cerbère, entre le 27 janvier et le 9 février 1939 (et dans une moindre mesure jusqu’au 14 mars), un long fleuve de misère s’épanche des flancs des Pyrénées et converge vers le Roussillon voisin et frère, l’ultime espoir. Un exode que l’on connaît depuis sous un nom écrit en lettres de sang noyées dans les pleurs du désespoir et de l'humiliation : « la Retirada ».

    A Prats-de-Mollo, le 27 janvier, vers 11 heures les premiers fuyards franchissent par petits groupes le pont Gaston-Gérard alors que la frontière n’est pas encore officiellement ouverte.
    En quelques jours la population du village passe de 3000 à 30000 habitants auxquels il faut ajouter 15000 à 25000 têtes de bétail.

    Sans oublier les charrettes, chariots, chevaux, mulets, mais également les troupeaux de moutons, chèvres, vaches, etc, qui viennent compliquer la situation.

    Rapidement les locaux disponibles sont saturés. Dès lors, 12000 hommes sont cantonnés dans la prairie dite du Cendréou et 25000 à Saint-Martin. Dans la nuit du 24 au 25 février, ils seront ensevelis sous de gros flocons…

    Après la chute de Gérone, le 5 février en soirée, à 20 heures très précisément, le poste de Cerbère, le premier, lève sa barrière métallique. Le Perthus fait de même le 6, à 16 heures 30. « Près des routes, on ne trouve pas dix mètres carrés de terrain sans réfugiés » consigne dans son journal à la date du 5 février 1939 l'envoyé spécial du New York Times. « Toutes les routes secondaires, tous les champs et même toutes les collines fourmillent de milliers de malheureux cheminant vers La Jonquera. Là, par milliers, ils attendent patiemment ou font la queue pour obtenir de la nourriture que la Commission internationale envoie à la France ». Le chiffre de 2000 entrées par jour fixé par les autorités française est rapidement dépassé.

    450000 « indésirables »

    Dès le 5 février, les fugitifs sont évalués à quelque 130 000 personnes tandis que les premières troupes de l'armée républicaine arrivent. Le 7 février, 100000 soldats républicains ont déjà pénétré sur le territoire français.

    Du 8 au 12 février, Prats-de-Mollo voit passer 37000 hommes de troupe. Encadrés par 50000 militaires et policiers français chargés de l'accueil et de la sécurité, ils sont immédiatement désarmés, leurs véhicules confisqués et stockés dans les camps de matériel de Bourg-Madame, Le Boulou, Villeneuve-de-la Rivière. Ces hommes grossirent dès lors les rangs des civils qui, à la date du 7 février, sont déjà au nombre de 250000 auxquels il convient d’ajouter environ,10 000 blessés.

    Le 9 février, les troupes nationalistes navarraises du général SOLCHAGA sont au pied du fort de Bellegarde, au Perthus. En moins de deux semaines, plus de 450 000 personnes auront franchi la frontière franco-espagnole.

    « En 48 heures, écrit un témoin, Pierre IZARD, premier adjoint au maire, Argelès fut transformé en fourmilière ». (…) « Ce n'était pas une armées qui fuyait, ce n'était pas seulement des familles, mais des villages, des cités complètes avec leur biens, un peuple tout entier qui s'avançait lourdement... On s'étonnait que la terre ne suivi pas... C'était grandiose, énorme, effrayant ! ».

    Article paru dans la Semaine du Roussillon

    L'émission : Retour sur la guerre d'Espagne, lorsque le peuple espagnol et ceux qui ont suivi la République sont abandonnés aux mains de Franco, Hitler et Mussolini. France 3 a été diffusé le 12 juillet 2014 un reportage « Combattants de la liberté » retraçant ce long fleuve de misère.

     





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