•  Le mont Canigou

    Depuis toujours le massif du Canigou a exercé une sorte de fascination sur les Catalans. Peut-être parce qu'il est situé à l'extrémité Est de la chaîne des Pyrénées et que, observée de la plaine roussillonnaise, sa masse impressionnante le fait paraître plus haut que les autres sommets pyrénéens.

    Peu fréquentées au Moyen Age, car entourées d'une aura de mystère, ses pentes commencent à être escaladées à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, comme le sont d'ailleurs les autres montagnes européennes.

    Et ils seraient Anglais, les premiers téméraires qui osent s'attaquer aux sommets français. En tout cas, ce sont eux qui , dès 1857, fondent « l'Alpine Club ». Avec quelque retard, les Français réagissent et, en 1874 se crée à Paris le Club Alpin Français qui va très vite se développer en province : Toulouse en 1876, Montpellier en 1879 qui engendre la Section du Midi. Le 29 avril 1881, quelques personnalités locales décident de créer à Perpignan une unité indépendante prenant le nom de section du Roussillon qui devient, en 1885, la Section du Canigou, affiliée au Club Alpin Français.

    Les objectifs sont triples : sport, science et … patriotisme. Il faut « pousser la jeunesse française à l'étude de nos frontières, que les étrangers, les Prussiens principalement, connaissent infiniment mieux que nous ». On le voit, l'affront de la défaite de 1870 n'est pas encore digéré.

    Qui sont-ils ces valeureux escaladeurs et où se recrutent-ils ? Il semble bien qu'ils appartiennent tous à la bourgeoisie locales : les frères Auriol, banquiers, Pierre Assens, professeur, Emmanuel Brousse fils, publiciste, Pierre Vidal, bibliothécaire, Henri Carcassonne, avocat, Claude Gailly, propriétaire. Très vite « tout ce que Perpignan compte de médecins, d'avocats, d'industriels, de négociants, de riches propriétaires se fait un devoir d'appartenir à la Section du Canigou, club chic ». Si l'on ne peut passer outre aux mondanités d'usage, on organise aussi de grandes excursions pyrénéennes et des voyages sur le pourtour méditerranéen. Pour la jeunesse, des « caravanes scolaires » sont proposées, agrémentées de conférences avec projections lumineuses.

    Pour accéder aux cimes

    L'un des objectifs principaux reste cependant l'aménagement de la montagne pour la rendre accessible au plus grand nombre avec la rédaction et l'édition de guides, la création et l'entretien de sentiers et de refuges.

    En 1885, dans le massif du Canigou, le passage de la Cheminée est amélioré « mais on renonce à y installer une rampe en fer par crainte de la foudre ». Dans la foulée, c'est la Brèche Durier qui est aménagée et aussi le Refuge Arago qui ne résistera pas, deux ans plus tard, à une tempête de neige qui cause l'effondrement de la toiture. Les bergers emporteront ce qu'il reste du bâtiment.

    Dix ans plus tard, le site des Cortalets est choisi pour l'édification d'un châlet-refuge « capable de résister aux éléments et aux hommes ». Les frères Violet, de Thuir, M. Bardou, l'industriel en papier à cigarettes, l'Établissement Thermal de Vernet-les-Bains, seront parmi les généreux donateurs à une souscription nationale. Un site de 1500 m2 est concédé au Club par les Domaines, en 1898, débutent les travaux d'aménagement d'une route carrossable menant de la maison forestière de Balatg aux Cortalets ainsi que l'édification du chalet-refuge.

    Le 4 septembre 1899, à l'issue d'un Congrès d'alpinisme, une forte délégation entreprend l'ascension du Canigou et le soir, aux Cortalets on se rassemble autour d'une veillée aux flambeaux dont la tenue est relatée par un journaliste présent «  Rien ne saurait donner une idée de cette veillée de près de 200 personnes à 2000 m d'altitude car, aux congressistes, s'était joint une foule de curieux accourus des villages environnants, des gendarmes, des douaniers, des gardes forestiers, des guides, des porteurs, des muletiers... Le chalet étant, malgré ses vastes proportions, trop étroit pour le nombre de congressistes, l'armée avait prêté des tentes... Les lits étaient réservés pour les dames, mais beaucoup ne voulurent point en user et préférèrent dormir sous la tente. C'était plus poétique ! »

    C'est le lendemain, le 5 septembre et sous un soleil généreux que l'ascension du Pic est entreprise mais ils sont bien moins nombreux, les courageux qui vont tenter l'aventure.

    Le chalet-refuge, œuvre d'une commission d'architecture dirigée par Charles Toubert, ingénieur aux Ponts et Chaussée, est l'un des plus beaux d'Europe, selon les spécialistes de l’époque. Aussi, il est bientôt question de préparer un projet pour un chemin de fer à crémaillère atteignant le sommet en desservant au passage le chalet-hôtel qui pourrait devenir le « noyau d'une future station climatique ». Un grandiose projet soutenu par le président du Club Casimir Soullier mais qui à ses détracteurs : les purs alpinistes. Or, peu de temps après, le Touring Club aménage aux Bouillouses un ensemble chalet-hôtel avec casino et courses de canots à moteur sur le lac, bref, tout ce que souhaite une clientèle touristique aisée qui fréquente habituellement les stations suisses.

    En 1902, les premiers skis sont introduits en Roussillon par Prosper Auriol qui revient d'un voyage en Suède et, dès 1904, une course Mont-Louis Font-Romeu aller-retour est organisée par la Section du Canigou. Le projet pharaonique du chemin de fer escaladant le Canigou marque le pas. Il sera abandonné lorsque le spectre de la grande guerre 14/18 se profile à l'horizon.

    Les pionniers de l'escalade

    Parmi ceux qui, les premiers, ont escaladé les cimes du Canigou, il faut citer Jean Escarra (1885-1955). Parisien de naissance mais catalan par sa famille, il entre en 1907 à la Section de Perpignan du Club Alpin Français. Le 5 juillet 1908, accompagné de Prosper Auriol et de Jacques Deixonne, il s'attaque à la vertigineuse arête Quazemi-Canigou. Cette arête est si étroite qu'il faut parfois progresser à califourchon parmi des blocs instables. Le lendemain, Escarra et Deixonne attaquent la face Est du Canigou qui surplombe le glacier. Brouillard et fréquentes chutes de pierres ralentissent leur progression et, à mi-parcours, Deixonne découvre une sorte de cheminée qui prendra le nom de »couloir Deixonne ». Cette cheminée leur permettra d'atteindre sans encombre le sommet de la « face Escarra ». Le 25 septembre 1911, Escarra, Auriol et Henry Barrère vont vaincre l'arête reliant directement la brèche Durier au pic du Canigou. « Plus courte, plus abrupte, cette arête est aussi la plus dangereuse tellement le rocher est pourri. La corde s'impose donc et l'état du rocher exige une très grande attention » affirme Escarra. Plus tard, alors qu'il est professeur à la Faculté de Droit de Paris (1932), il se voit confier le poste de président national du Club Alpin Français et, à ce titre, il est chargé de l'organisation de la première expédition française en l'Himalaya. Sa santé déficiente ne lui permet cependant pas de se joindre à l'équipe.

    Mais le Canigou a été aussi un symbole pour l'unité de la Catalogne. En effet, en 1878, avant la création de la Section du Canigou, une expédition regroupant des montagnards issus des deux versants du massif avait fait l'ascension du Canigou. Mossèn Jacint Verdaguer, l'illustre poète, au cours de séjours à Prades à partir de 1880, va composer l'immortel « Canigó ». Un peu plus tard, en 1911, c'est l'écrivain anglais Rudyard Kipling, amoureux de Vernet-les-Bains, qui dira du Canigou qu'elle est « la montagne enchanteresse entre toutes et qu'il soumet à son pouvoir » et il s'inscrit « au nombre des loyaux sujets du Canigou ».

    Article paru dans « La semaine du Roussillon »

     





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