-
Par atao feal le 5 Juin 2014 à 09:51
Louis XIV instaure la gabelle en Roussillon en 1661.
Le sel avant l'apparition du froid artificiel, était le seul moyen connu par l'homme pour la conservation des aliments, viandes ou poissons.
Le contrôle de son exploitation et sa distribution donneront lieu à une véritable guerre qui durera des siècles.
L'étang de Saint-Nazaire, Canet-en-Roussillon avec au fond le Canigou (Photo Jean Josset)
Alors que le Roussillon a été rattaché en 1659 à la France par le traité des Pyrénées, l'impôt sur le sel, appelé gabelle, y est instauré en décembre 1661 . Il s'agit là d'une violation des « usatges » ou coutumes ancestrales du pays catalan que la nouvelle administration française s'était pourtant engagée à respecter. Le décret royal, promulgué par Louis XIV, prétend harmoniser la levée de cet impôt avec la province voisine du Languedoc : « (,,,) nous n'avons pas trouvé d'impôt plus juste et moins onéreux à nos sujets du dit pays (le Roussillon) que d'établir la vente du sel à notre profit, en la même manière qu'en notre province du Languedoc, puisque chacun de nos sujets en portera sa part ».
Or, le Roussillon où existent des étangs reliés à la mer depuis toujours un pays de salines et, au moins depuis l'époque des rois de Majorque, la récolte du sel et son commerce sont assurés par les Consuls de Perpignan qui tiennent ce privilège des Comtes-Rois.
La mise en place de ce nouvel impôt tonne ici comme un coup de tonnerre qui va déclencher une sorte de guerre larvée entre l'administration chargée du contrôle des ventes et les contrebandiers dont le nombre va aller croissant.
Car le sel est à cette époque un aliment stratégique : il est le seul moyen de conserver viandes et poissons. Il est également un composant nutritif pour le bétail et les éleveurs l'utilisent sous forme de blocs que les bêtes viennent lécher dans les pâturages.
Dès 1661, le sel est donc devenu un monopole d'État et il est entreposé dans les greniers où l'on en prend possession moyennant le paiement d'une taxe dont le montant est nettement supérieur au tarif précédemment appliqué par les Consuls.
On s'en doute, les gros utilisateurs de sel ne vont pas se bousculer dans ces greniers mais tenteront plutôt de s'en procurer au moins une partie en contrebande. Et nos Catalans se sont très vite adaptés à ces situations, débordant même les gabelous (gardes royaux) chargés de les intercepter. En 1662, il est dit qu'une centaine de contrebandiers appelés aussi faux-sauniers, sera condamnée.
Quelques exemples : En avril 1662, Antoni Guillemat, brigadier des gardes des gabelles d'Estagel interpelle sur le chemin qui va de Saint-Féliu à Latour-de-France deux hommes portant chacun un sac, sur son dos dans chacun des sacs, il y a du sel provenant de l'étang de Canet-en-Roussillon. Les trafiquants sont les frères Paris, de Cubières, dans l'Aude. Pour deux qui seront interceptés, il y en a des centaines qui passeront entre les mailles du filet.
En septembre 1662, Joan Farran, garde du sel de Thuir, surprend dans un mas deux hommes conduisant deux mulets lourdement chargés. Ils prétendent transporter du riz mais il s'agit en fait du sel de Canet-en-Roussillon destiné à Prades qui paraît-il, est une plaque tournante de ce trafic.
Les premières victimes de ce conflit semblent être deux contrebandiers, l'un de Prades, l'autre de Vinça, qui furent surpris et tués par les gardes le 30 janvier 1663 à Les Cluses. Ils acheminaient vers Prades du sel venu d'Espagne.
Le 18 novembre 1663, ce sont deux gardes de la gabelle qui sont assassinés sur le territoire de Maureillas. Ils poursuivaient un groupe d'une cinquantaine de contrebandiers auquel on avait tendu une embuscade.
Les gabelous, détestés par la population rurale, sont bien souvent des « gavatxos » (Languedociens), ce qui accentue encore à leur encontre le ressentiment du peuple catalan qui, dans sa majorité rurale, n'a pas accepté le rattachement à la France. C'est en Vallespir que la résistance à la gabelle va être la plus incisive et un homme va se distinguer dans cette lutte.
Joseph de la Trinxeria (1630-1689) enfant d'une vieille famille de Prats-de-Mollo, son nom apparaît en 1666 lorsque des gardes de la gabelle découvrent dans sa maison une certaine quantité de sel de provenance non autorisée. Condamné à payer une amende et considérant qu'il s'agit là d'une exaction, il prend les armes avec plusieurs camarades. Leur troupe va dorénavant traquer les gabelous et certains de ces derniers seront tués. Pendant deux ans, de Prats-de-Mollo à Saint-Laurent-de-Cerdans en passant par Céret, la Trinxeria parcourt en maître tout le Vallespir et cette résistance lui vaudra l'admiration des populations. Se joint bientôt à lui le chef des partisans et aussi battle (maire) de la localité de Bassaguda, en catalogne sud. On leur attribue des attaques de convois, embuscades, incursions poussées jusque sous les murailles de Perpignan. Connaissant parfaitement le pays et son relief, aidé par la population, la Trinxeria se joue des poursuites ou menaces proférées contre lui ce qui va exaspérer le terrible François de Sagarre, gouverneur des comtés de Cerdagne et du Roussillon. Ayant entrepris d'exterminer les Angelets – ainsi étaient désignés les combattants fidèles à la Trinxeria – Sagarre prend la tête d'une troupe qui marches sur Arles-sur-Tech le 14 septembre 1668 en vue d'investir le Haut-Vallespir. Le lendemain, alors que la troupe a repris sa progression, elle est attaquée par les hommes de Joseph de la Trinxeria. Forcés de rebrousser chemin, Sagarre et ses hommes s'enferment dans Arles-sur-Tech qui sera assiégée jusqu'à ce qu'une troupe de 6000 hommes viennent les délivrer, le 19 septembre.
Après cet échec et pendant plus d'un an la gabelle ne fut pratiquement plus appliquée en Vallespir malgré quelques aménagements du règlement. Jusqu'à ce jour de 1670 où les préposés à la gabelle cantonnés aux Fort Périlloux de Prats-de-Mollo arrêtèrent en particulier de Baillestavy, Jean-Michel Mestre, appelé l'Heureu Just. Cet acte de rigueur réveilla le conflit et les paysans conduit par la Trinxeria, entré en force dans Prats-de-Mollo, prirent en otage la femme et les enfants de l'officier commandant le Fort qui ne seraient libérés qu'en échange de l'Hereu Just. Cet échange eu lieu rapidement ce qui aurait pu mettre un terme à l'action de la Trinxeria,
Ce ne fut pas le cas et c'est encore un détachement de cavalerie cantonné à Céret qui sera fait prisonnier par les Angelets. Nouvelle colère de Sagarre qui, coûte que coûte, décide d'arracher le Vallespir à la domination de la Trinxeria. Celui-ci, devant les moyens mis en œuvre pour l'abattre, se retira en Catalogne où il deviendra colonel dans l'armée d’Espagne.
Article paru dans « La Semaine du Roussillon »
-
Par atao feal le 5 Juin 2014 à 09:45
Une véritable affaire d'état.
Après l'épisode douloureux vécu par le Roussillon lors de l'instauration de la gabelle, la guerre du sel continua, générant des trafics énormes que les autorités s'efforçaient de contenir, non sans mal.
Pourquoi, à Collioure, les fenêtres donnant directement sur la mer furent pendant longtemps obligatoirement closes par des grilles de fer ?
Tout simplement pour rendre le trafic du sel arrivant par la mer plus difficile. Mais les contrebandiers étaient habiles et pleins d'imagination, on le verra plus loin.
La plaine du Roussillon, peu à peu gagnée sur la mer, compte encore des étangs salés. Ils étaient jadis plus nombreux et ces étangs constituaient un vaste domaine où le ramassage du sel était relativement aisé. La contrebande du sel à toujours existé en Roussillon depuis que les autorités dirigeantes ont cru bon instaurer un impôt sur ce produit indispensable.
En mai 1816, à 10 heures su soir, les douaniers de Collioure surprirent des marins venant de déposer treize sacs de sel sur les rochers du port. En les poursuivant, ils eurent la stupéfaction de voir disparaître ces hommes par un étroit passage, un trou, conduisant des rochers à la maison de Hyacinthe Cazeau. Ce même Cazeau, obligé comme tous les riverains de garnir ses fenêtres donnant sur la mer de solides barreaux de fer, avait eu l'astucieuse idée d'en fabriquer en... bois, peints de couleur fer rouillé et démontables rapidement. Ce subterfuge fut découvert par les douaniers médusés lors d'une visite domiciliaire, le 21 septembre 1816. Le 22 du même mois, un petit bâtiment espagnol chargé de sel de contrebande fut repéré par les douaniers français, pris en chasse et finalement coulé en rade de Llansa par les douaniers espagnols.
Et si on labourait l'étang ?...
En 1815, le directeur des Douanes de Narbonne évaluait à plus de 100000 francs par mois la perception des droits sur le sel dans l'Aude. La lutte contre la perte de recettes par la contrebande était donc prioritaire, mobilisant parfois des effectifs considérable comme ce fut le cas à Saint-Nazaire, en juillet 1817. Cet été-là, une chaleur tropicale avait provoqué l'évaporation de l'eau de l'étang, aggravée par l'extension du système d'irrigation dans la haute vallée du Tech, privant d'eau l'aval de la plaine. Une importante cristallisation de sel sur les rives attira les habitants des alentours et les voilà qui ramassent du sel avec des paniers, des sacs, des comportes et même des attelages. Avisé, le préfet dépêche les douaniers qui, débordés demandèrent l'appui de la troupe.
Bonne idée, sans doute, mais cette troupe, il faut la loger et où va-t-on la loger sinon chez l'habitant ! Or, même contre de l'argent, l'habitant n'en veut pas, car il sait que la prime officielle est bien inférieure au gain de la contrebande. Ce fut un échec total et le préfet proposa en désespoir de cause qu'on labourât l'étang ! Plus facile à dire qu'à faire et le 26 du même mois de juillet on pouvait dénombrer plus de trois cents personnes sur l'étang desséché. Plusieurs furent arrêtées et conduites en prison mais pendant que les préposés des douanes s'occupaient d'elles, cela laissait le champ libre aux autres.
Le 7 août, le directeur des Douanes avoue son impuissance : 12 soldats et davantage de préposés n'ont conduit qu'à la saisie de 5 à 600 sacs de sel, c'est peu devant l'énorme quantité prélevée frauduleusement. La troupe reçoit alors de rentrer et force est de constater « que les enlèvements de sel sont devenus considérables, la perte qui en résulte pour le Trésor est si forte qu'il est le moment de porter sur cet étang une force militaire assez importante pour repousser les fraudeurs... » Paroles, paroles,paroles ! Comme dit la chanson.
...On pourrait aussi l'inonder
Les autorités ne savent plus où donner de la tête et on ira jusqu'à recommander aux maires du périmètre d'user de persuasion auprès de leurs administrés. Peine perdue, on s'en doute !
Et puis, une idée géniale surgit. Quelqu'un proposa tout simplement d'inonder l'étang à moitié asséché et on prend avis auprès de l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées. Comme le dit Bergé, le maire de Collioure : « il est bien facile de donner des ordres ! Le plus difficile est dans l'exécution... »
Pour apaiser les esprits, on relâche les cinquante-quatre hommes arrêtés, venu de Palau-del-Vidre, Fourques, Liauro, Vivès, Tresserre, Terrats et même de Saint-Laurent de Cerdans. Parmi eux se trouve le fils du maire de Fourques.
Mais le temps passe en calculs, en mesures de dimensions de l'étang, en paperasserie administratives. On saisit le Conseil d'État pour l'engagement des dépenses, jusqu'à ce jour du 21 août où le directeur des Douanes écrit au préfet « (…) j'ai l'honneur de vous rendre compte que, dans la nuit du 18 au 19 du courant, 400 paysans armés de bâtons sont descendus de toute part dans l'étang de Saint-Nazaire, à l'effet d'en enlever le sel. La garde départementale et les préposés ayant voulu les empêcher sur divers points de sortir de l'étang avec leur charge, ils se sont spontanément ralliés et fait front en chargeant la garde à coups de bâtons.Les militaires et préposés qui étaient en trop petit nombre pour repousser ces paysans effrénés qu'aucun raisonnement ne pouvait désarmer, se sont vus obligés de faire usage de leurs armes. Plusieurs de ces rebelles ont reçu des coups de baïonnettes, un seul est resté sur le champ de bataille, ayant été atteint d'une balle qui lui a cassé la jambe. Le résultat de cette affaire dans laquelle les militaires et les préposés se sont bien conduits a été l'abandon sur les lieux de 158 sacs et de 54 bâtons ou massues... ». Maigre butin pour une si grand remue-ménage !
Le 25 août, la bande de sable qui sépare l'étang de la mer est percée et le canal amène un peu d'eau qui fait fondre le sel. La mer agitée a tôt fait de refermer le canal. On le reperce mais pendant la nuit le pillage du sel se poursuit. Nouveaux travaux et nouveaux vols.
Au mois de septembre, le vent rebouche le canal et le 5, le directeur des Douanes lance un nouvel appel au préfet : « ...il ne reste plus qu'un parti à prendre, celui de la force et je vous prie d'envoyer promptement sur les lieux, soit de la garde départementale, soit de la garnison. Peut-être M. le Général, d'après les ordres de Son Excellence le Ministre de la Guerre, s'arrêtera-t-il à cette mesure... » Trois jours plus tard, nouveau message au préfet : « Il y a 50 hommes, en y comprenant le détachement de la garde départementale sur l'étang de Saint-Nazaire. Hier,dès la pointe du jour il était couvert de monde, et le service dirigé par l'Inspecteur a été complet. Peu de sacs de sel ont échappé et la brigade de Perpignan, placée sur les arrières les a arrêtés. On peu évaluer à 400 sacs de sel la partie enlevée de l'étang et détruite par le service. Les paysans étaient tellement dégoûtés qu'à midi ils s'étaient retirés et ne cherchaient qu'à sauver leurs sacs vides... »
Ceci n'est qu'un épisode de la guerre du sel. A Saint-Nazaire, les mêmes faits se renouvelèrent en 1818. Cette année-là, le maire de Canet-en-Roussillon proposa de détourner le canal du Moulin pour noyer le sel de l'étang tandis qu'à l'autre extrémité, le maire d'Elne protestait fermement contre le captage des eaux en amont du Tech pour l'irrigation des terres.
Un violent orage mit fin aux disputes des uns et des autres.
Vers 1822, les habitants de Saint-Nazaire refusèrent de loger les soldats et les douaniers. Le maire Durand, armé d'une barre de fer, défendit ses administrés que les douaniers se proposaient d'emmener en prison.
Ainsi au rythme des étés torrides, se perpétua en Roussillon la guerre du sel.
Article paru dans « La Semaine du Roussillon »
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique