• La guerre du sel en pays catalan (1ère partie)

    Louis XIV instaure la gabelle en Roussillon en 1661.

    Le sel avant l'apparition du froid artificiel, était le seul moyen connu par l'homme pour la conservation des aliments, viandes ou poissons.

    Le contrôle de son exploitation et sa distribution donneront lieu à une véritable guerre qui durera des siècles.

    La guerre du sel en pays catalan (1ère partie)

    L'étang de Saint-Nazaire, Canet-en-Roussillon avec au fond le Canigou (Photo Jean Josset)

    Alors que le Roussillon a été rattaché en 1659 à la France par le traité des Pyrénées, l'impôt sur le sel, appelé gabelle, y est instauré en décembre 1661 . Il s'agit là d'une violation des « usatges » ou coutumes ancestrales du pays catalan que la nouvelle administration française s'était pourtant engagée à respecter. Le décret royal, promulgué par Louis XIV, prétend harmoniser la levée de cet impôt avec la province voisine du Languedoc : « (,,,) nous n'avons pas trouvé d'impôt plus juste et moins onéreux à nos sujets du dit pays (le Roussillon) que d'établir la vente du sel à notre profit, en la même manière qu'en notre province du Languedoc, puisque chacun de nos sujets en portera sa part ».

    Or, le Roussillon où existent des étangs reliés à la mer depuis toujours un pays de salines et, au moins depuis l'époque des rois de Majorque, la récolte du sel et son commerce sont assurés par les Consuls de Perpignan qui tiennent ce privilège des Comtes-Rois.

    La mise en place de ce nouvel impôt tonne ici comme un coup de tonnerre qui va déclencher une sorte de guerre larvée entre l'administration chargée du contrôle des ventes et les contrebandiers dont le nombre va aller croissant.

    Car le sel est à cette époque un aliment stratégique : il est le seul moyen de conserver viandes et poissons. Il est également un composant nutritif pour le bétail et les éleveurs l'utilisent sous forme de blocs que les bêtes viennent lécher dans les pâturages.

    Dès 1661, le sel est donc devenu un monopole d'État et il est entreposé dans les greniers où l'on en prend possession moyennant le paiement d'une taxe dont le montant est nettement supérieur au tarif précédemment appliqué par les Consuls.

    On s'en doute, les gros utilisateurs de sel ne vont pas se bousculer dans ces greniers mais tenteront plutôt de s'en procurer au moins une partie en contrebande. Et nos Catalans se sont très vite adaptés à ces situations, débordant même les gabelous (gardes royaux) chargés de les intercepter. En 1662, il est dit qu'une centaine de contrebandiers appelés aussi faux-sauniers, sera condamnée.

    Quelques exemples : En avril 1662, Antoni Guillemat, brigadier des gardes des gabelles d'Estagel interpelle sur le chemin qui va de Saint-Féliu à Latour-de-France deux hommes portant chacun un sac, sur son dos dans chacun des sacs, il y a du sel provenant de l'étang de Canet-en-Roussillon. Les trafiquants sont les frères Paris, de Cubières, dans l'Aude. Pour deux qui seront interceptés, il y en a des centaines qui passeront entre les mailles du filet.

    En septembre 1662, Joan Farran, garde du sel de Thuir, surprend dans un mas deux hommes conduisant deux mulets lourdement chargés. Ils prétendent transporter du riz mais il s'agit en fait du sel de Canet-en-Roussillon destiné à Prades qui paraît-il, est une plaque tournante de ce trafic.

    Les premières victimes de ce conflit semblent être deux contrebandiers, l'un de Prades, l'autre de Vinça, qui furent surpris et tués par les gardes le 30 janvier 1663 à Les Cluses. Ils acheminaient vers Prades du sel venu d'Espagne.

    Le 18 novembre 1663, ce sont deux gardes de la gabelle qui sont assassinés sur le territoire de Maureillas. Ils poursuivaient un groupe d'une cinquantaine de contrebandiers auquel on avait tendu une embuscade.

    Les gabelous, détestés par la population rurale, sont bien souvent des « gavatxos » (Languedociens), ce qui accentue encore à leur encontre le ressentiment du peuple catalan qui, dans sa majorité rurale, n'a pas accepté le rattachement à la France. C'est en Vallespir que la résistance à la gabelle va être la plus incisive et un homme va se distinguer dans cette lutte.

    Joseph de la Trinxeria (1630-1689) enfant d'une vieille famille de Prats-de-Mollo, son nom apparaît en 1666 lorsque des gardes de la gabelle découvrent dans sa maison une certaine quantité de sel de provenance non autorisée. Condamné à payer une amende et considérant qu'il s'agit là d'une exaction, il prend les armes avec plusieurs camarades. Leur troupe va dorénavant traquer les gabelous et certains de ces derniers seront tués. Pendant deux ans, de Prats-de-Mollo à Saint-Laurent-de-Cerdans en passant par Céret, la Trinxeria parcourt en maître tout le Vallespir et cette résistance lui vaudra l'admiration des populations. Se joint bientôt à lui le chef des partisans et aussi battle (maire) de la localité de Bassaguda, en catalogne sud. On leur attribue des attaques de convois, embuscades, incursions poussées jusque sous les murailles de Perpignan. Connaissant parfaitement le pays et son relief, aidé par la population, la Trinxeria se joue des poursuites ou menaces proférées contre lui ce qui va exaspérer le terrible François de Sagarre, gouverneur des comtés de Cerdagne et du Roussillon. Ayant entrepris d'exterminer les Angelets – ainsi étaient désignés les combattants fidèles à la Trinxeria – Sagarre prend la tête d'une troupe qui marches sur Arles-sur-Tech le 14 septembre 1668 en vue d'investir le Haut-Vallespir. Le lendemain, alors que la troupe a repris sa progression, elle est attaquée par les hommes de Joseph de la Trinxeria. Forcés de rebrousser chemin, Sagarre et ses hommes s'enferment dans Arles-sur-Tech qui sera assiégée jusqu'à ce qu'une troupe de 6000 hommes viennent les délivrer, le 19 septembre.

    Après cet échec et pendant plus d'un an la gabelle ne fut pratiquement plus appliquée en Vallespir malgré quelques aménagements du règlement. Jusqu'à ce jour de 1670 où les préposés à la gabelle cantonnés aux Fort Périlloux de Prats-de-Mollo arrêtèrent en particulier de Baillestavy, Jean-Michel Mestre, appelé l'Heureu Just. Cet acte de rigueur réveilla le conflit et les paysans conduit par la Trinxeria, entré en force dans Prats-de-Mollo, prirent en otage la femme et les enfants de l'officier commandant le Fort qui ne seraient libérés qu'en échange de l'Hereu Just. Cet échange eu lieu rapidement ce qui aurait pu mettre un terme à l'action de la Trinxeria,

    Ce ne fut pas le cas et c'est encore un détachement de cavalerie cantonné à Céret qui sera fait prisonnier par les Angelets. Nouvelle colère de Sagarre qui, coûte que coûte, décide d'arracher le Vallespir à la domination de la Trinxeria. Celui-ci, devant les moyens mis en œuvre pour l'abattre, se retira en Catalogne où il deviendra colonel dans l'armée d’Espagne. 

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon »