• Jacques Ier d'Aragon

    Jacques le Conquérant
    par Manuel Aguirre y Monsalbe

     

    Jacques Ier d'Aragon dit le Conquérant (en catalan Jaume el Conqueridor ; en castillan Jaime el Conquistador ; en aragonais Chaime o Conqueridor), né le 2 février 1208 à Montpellier et décédé le 27 juillet 1276 à Alzira, non loin de Valence. Il est roi d'Aragon et comte de Ribagorce de 1213 à 1276, comte de Barcelone, de Gérone, d'Osana, de Besalú, de Pallars Jussà, seigneur de Montpellier et baron d'Aumelas également de 1213 à 1276, comte d'Urgell de 1213 à 1218, de 1231 à 1236 et enfin de 1267 à 1276, roi de Majorque de 1229 à 1276, roi de Valence de 1239 à 1276, comte de Roussillon et de Cerdagne de 1241 à 1276.

    Fils de Pierre II le catholique, roi d'Aragon et Marie, dame de Montpellier, il descend de deux prestigieux lignages : par son père, il est l'héritier des rois d'Aragon, et par sa mère il est apparenté à la famille impériale byzantine des Comnènes. Il eut une enfance très difficile. Son père, qui s'était marié pour mettre fin aux intrigues des nobles catalans qui réclamaient un héritier, finit par répudier la reine après être parvenu à asseoir son pouvoir sur la seigneurie de Montpellier.

    Il est âgé de deux ans lorsque son père conclut un mariage entre lui et Amicie, la fille de Simon de Montfort, l'infant Jacques est livré à ce dernier. Il restera reclus au château de Carcassonne.

    En 1213, en pleine croisade des Albigeois, son père meurt à la bataille de Muret. Jacques devient le prisonnier de Simon de Montfort, et ce dernier ne se résigne à le libérer que grâce aux pressions du pape Innocent III. Durant le reste de sa minorité, il est confié aux templiers. Il sera élevé au château de Monzón à partir de 1215 avec son cousin Raymond-Bérenger V de Provence. Pendant ce temps, son grand-oncle Sanche d'Aragon, principal acteur de la libération de Jacques, est reconnu régent d'Aragon. Jacques hérite de la seigneurie de Montpellier à la mort de sa mère en 1213.

    Orphelin, il avait six ans lorsqu'il fut reconnu roi par les cortes de Lérida en 1214. C'est dans la même ville qu'en septembre 1218, les premiers cortes généraux d'Aragon et de Catalogne se réunissent et le déclarèrent majeur.

    En janvier 1221, il épouse Aliénor de Castille, fille d'Alphonse VIII de Castille, en la cathédrale de Tarazona. Le roi n'était âgé que de treize ans, elle en avait dix-neuf. Ce mariage répondait à des intérêts politiques, mais Jacques répudia son épouse en 1229, invoquant une trop proche parenté. Le 8 septembre 1235, il contracte un second mariage avec la princesse Yolande de Hongrie Arpad, fille du roi André II de Hongrie. Par le testament de son cousin Nuno Sanchez, il hérite les comtés du Roussillonet de Cerdagne en 1241.

    Durant les quinze premières années de son règne, Jacques est aux prises avec la noblesse aragonaise, qui parvient même à le faire prisonnier en 1224. En 1227, il doit faire face à une nouvelle révolte nobiliaire, dirigée par son oncle l'infant Ferdinand. Jacques ne sauve son trône que grâce à l'intervention papale par l'entremise de l'archevêque de Tortosa, les accords d'Alcala du 22 mars 1227 marquent le triomphe de la royauté sur la noblesse. Après ces accords, la situation se stabilise suffisamment pour permettre au roi de lancer de nouvelles campagnes contre les musulmans. Les réussites du roi finiront par apaiser la noblesse.

    En effet Jacques le Conquérant va beaucoup contribuer au renforcement du pouvoir royal notamment en menant avec fermeté la normalisation du droit dans chacun des territoires de la couronne d'Aragon. Il charge ainsi l'évêque d'Huesca, Vidal de Canyelles, de codifier le droit coutumier du royaume d'Aragon, entreprise qui aboutit lors des cortes d'Huesca de 1247, qui imposent un droit unique au royaume au-dessus des droits particuliers. En Catalogne, ce sont les usages de Barcelone qui s'imposent peu à peu à tout le pays. D'autre part, il développe le système des cortes, sortes de parlements généraux réunissant des délégués nobles, ecclésiastiques et citadins autour du roi. Chacun des royaumes de la Couronne a ses propres cortes, excepté le royaume de Majorque, qui envoie des délégués aux cortes de Catalogne.

     

    Poursuite de la Reconquista

     Le règne de Jacques Ier marque une nouvelle vague de progression des armées chrétiennes face aux musulmans. Les chroniqueurs ont livré le portrait d'un jeune roi-chevalier de vingt ans qui rêvait en 1228 de prouesses guerrières devant le Liber maiorlichinus et se voyait investi d'une mission de justice en tant que continuateur des croisades et défenseurs des chrétiens. La tradition catalane fixe idéalement sa prise de décision irrévocable à la vigile de Noël 1228 alors qu'il jeûne et reste en prière. N'est-il pas l'héritier du comte de Barcelone, défenseur des chrétiens des îles al-andalous qui avaient subi des épouvantables persécutions à l'arrivée des Almohades et subissaient encore ce joug s'ils n'avaient pu fuir, réduits en esclavage ?

    Préparation de la croisade

     Depuis le début des années 1220, les marchands de Barcelone, Tarragone et Tortosa demandent de l'aide au roi d'Aragon pour qu'il mette fin à la menace des pirates majorquins, en réalité au service du pouvoir almohade. Le roi ne peut agir seul dans une expédition de pareille envergure. Mais un vaste programme de conquête est envisagé, avec répartitions en lots estimées des biens et terres. Le roi va ainsi associer les corts catalans, en occurrence les trois ordres du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie, à ce projet aventureux. Il s'agit d'un véritable programme de gouvernement, prévoyant les frais de guerre, gérant les esclaves maures, instaurant un état de justice fondée sur une colonisation chrétienne. Un débat houleux sépare les représentants des corts au milieu des années 1220. Faut-il conquérir la région côtière de Valence avec les îles ou seulement les îles, car les deux sont également des repères de pirates ? Si l'opulent royaume de Valence tombe sous notre coupe, ne sera-t-on débordé par la masse des captifs, par l'importance des terres et des biens à gérer ou à écouler sur le marché ? Les ombrageux Aragonais tranchent ce débat mitigé : ils auront une option préférentielle pour décider de la conquête de Valence, quand ils seront prêts. L'effervescence gagne la cour royale lorsque le grand bourgeois armateur, Pedro Martel, explique à la haute noblesse ce que sont les îles, leurs richesses, leurs grandes villes, leurs populations et leurs mœurs mauresques...

    Comme une croisade est d'abord une entreprise de guerre, Don Jaime consulte sur le plan diplomatique à la fois le pape et les puissances italiennes, qui estiment avoir un droit de regard sur la Méditerranée occidentale. Le pape, bien informé par ses évêques, donne sa bénédiction à l'entreprise, il en souligne la mûre réflexion préalable. Les Vénitiens et surtout les Génois reconnaissent la volonté d'expansion thalassocratique de la petite Catalogne, mais veulent être associés à l'exploitation économique des îles, en demandant l'obtention d'un quartier ou barrio marchand à Medina Majorca. Alors que les plans de conquête et d'aménagement d'après-conquête sont dûment archivés pour Majorque et les autres îles, il reste un point crucial, le financement. En décembre 1228, une réunion de marchands barcelonais décide de financer une expédition. Des navires sont mis à la disposition de nobles catalans qui acceptent de participer à cette aventure en échange de la concession de domaines territoriaux et la promesse d'un important butin. Lors d'une autre réunion à Lérida, les nobles aragonais acceptent une telle entreprise, mais suggèrent au roi de la diriger plutôt contre les musulmans de Valence. Beaucoup de candidats belligérants se présentent déjà au roi pour cette expédition encore virtuelle : c'est une pléthore de cités d'Italie du Nord, de Provence, de France occitane qui proposent une participation ponctuelle, mais aussi les terres excentrées du roi, Roussillon ou Montpellier. Le roi pour faire l'unanimité chrétienne sélectionne les candidats marins ou combattants, leur fixant une participation ou des droits sur le fruit de l'opération. Marseille, à l'instar de Barcelone ou Tarragone, et de nombreux petits ports du Llevant catalan ou du Languedoc, figure ainsi parmi les ports d'embarquement de la flotte de conquête. Les conseillers royaux se méfient déjà de la puissance navale italienne. Gênes joue en retrait, prête à intervenir en soutien.

    Le roi et ses cortes s'associent pour financer l'essentiel de la flotte et la troupe de débarquement, les villes terrestres participantes s'engagent à prêter leurs unités de milices, les villes portuaires à fournir les flottilles d'appoint et assurer la logistique des échanges maritimes au-delà du débarquement. Les marchands, qui veulent capter le monopole du marché des îles, complètent le financement de façon à payer les mercenaires et assurer la provision des importants versements prévus aux alliés de la croisade, retenus par le roi et ses principaux conseillers.

     

    Dernières années

     

     

    Gisant de Jacques Ier à l'abbaye de Poblet

     

    En 1262, il nomme Guillaume de Roquefeuil, lieutenant-gouverneur de Montpellier. En septembre 1269, il lève une armée et part de Barcelone pour se rendre en Terre sainte combattre Baybars. Mais leurs navires sont dispersés par une tempête et le roi est forcé de débarquer à Aigues-Mortes pour finalement renoncer à l'expédition.

    Jacques Ier était présent au second concile de Lyon en 1274. Le concile délibéra des aspects financiers d'une nouvelle croisade. On décida que pendant six années la dîme de tous les bénéfices de la chrétienté devrait revenir à la croisade. Jacques souhaitait organiser l'expédition immédiatement, mais lestempliers s'y opposèrent, rendant la prise de décision difficile. Contrarié par l'indécision des autres participants, Jacques Ier prend congé du pape et quitte le concile avec ses barons. Cette croisade n'aura finalement jamais lieu.

    Le roi avait commencé à dicter ses mémoires en catalan et le Llibre dels fets deviendra la première desquatre grandes chroniques de la Couronne d'Aragon. Après un règne de presque soixante-trois ans, le roi décède à Alzira le 27 juillet 1276. Il était âgé de soixante-huit ans.

    Les restes du roi sont déposés à Sainte-Marie de Valence, ils y restent jusqu'en mai 1278, date à laquelle ils ont été transférés au monastère de Poblet, panthéon des roi d'Aragon depuis Alphonse Ier. Cependant, après les confiscations de Mendizabal, le monastère fut abandonné et le corps de Jacques Ier fut à nouveau transféré en 1843, mais cette fois à Tarragone. Un mausolée fut construit derrière la cathédrale pour accueillir les restes du roi, il sera inauguré en 1856. Le roi termine finalement son voyage en 1952, année qui marque le retour du corps du roi à Poblet.

    Article tiré de Wikipédia