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Le Massif du Canigó, entre terre et ciel
Rudyard Kipling comparait le Canigó aux montagnes d'Afrique du Sud ou à l'Himalaya. Mais pourquoi comparer ce qui ne peut l'être? Le Massif du Canigó est unique. Véritable géant de pierre qui culmine à 2 784,66 mètres, gardien de la frontière entre le Sud et le Nord de la Catalogne et protecteur du passage entre deux mondes : la plaine et la montagne. Visible de la mer, il en est devenu un des phares naturels.
Le Tech, un vieux village du Haut Vallespir
Il faut imaginer le Massif du Canigó comme une île, retenue seulement par quelques rochers. L'occident se tourne vers les montagnes, des douceurs du plateau du Pla Guillem aux chaos des crêtes des Esquerdes de la Rotjà. L'orient plonge vers la mer. Du septentrion au midi, les balcons dominent la vallée du Conflent, creusée par la Têt, le plus long fleuve du département et la vallée du Vallespir, façonnée par le Tech. Ces balcons sont totalement différents. Du côté de la Têt, les vallées sont douces et s'ouvrent vers la plaine du Roussillon, plantées de pêchers et autres fruitiers contrairement au Vallespir qui est plus encaissé et beaucoup plus sauvage et boisé d'essences montagnardes.
L'arrivée par la route qui mène à Prades montre la puissante masse du Canigó, protégé par d'innombrables collines, formant de petits îlots sur lesquels s'accrochent les villages de Los Masos, Espira-de-Conflent ou Finestret. On remarquera dans ce paysage modelé par l'Homme, des terrasses soutenues par des murs de pierres sèches issues directement d'anciennes cultures appelées « Feixes ».
Une des particularités du massif est de présenter la fusion de différents types de climats. Un climat méditerranéen à sa base, caractérisé par une plaine arboricole de fruitiers et du maquis. S'en suivent des climats montagnards, subalpins et alpins invitant le randonneur à passer du citronnier aux forêts de hêtres et de conifères, de la garrigue à un glacier suspendu. Même les vents ne semblent pas être d'accord. Au nord souffle la Tramontane, puissante et sèche, alors qu'à l'Est, le Marin apporte douceur et humidité.
L'hiver, le temps semble s'arrêter et le Canigó revêt un manteau blanc.
Un peu d'histoire...
L'origine de la présence de l'Homme dans le massif se perd dans la nuit des temps. Des gravures rupestres et différents vestiges retrouvés permettent de dater une activité humaine dès la fin du néolithique. Menhirs et dolmens abondent et témoignent de la volonté des habitants de l'époque d'être inhumés dans les entrailles de cette montagne déjà sacrée. Surgissant du fond des âges, le dolmen du col del Tribe à Molitg-les-Bains tire son originalité de son superbe point de vue sur le Canigó. À Arles-sur-Tech, la « Caixa de Rotllan » est un dolmen du IIIe millénaire avant Jésus-Christ.
Puis, les bergers ont construit des bâtiments en roches empilées appelés « Orris », véritables igloos de pierres, qui servaient et servent encore à la protection des hommes et des bêtes. L'origine de ces constructions est très ancienne mais c'est surtout au XIXe siècle qu'elles sont le plus utilisées.
Les tours à signaux de Batère ou de Mir faisaient-elles parties du réseau de communication permettant une transmission d'informations rapide entre le Roussillon et le Haut-Conflent ou le Haut-Vallespir. Ces tours de guet sont appelées « guardies » ou « farahons » en catalan.
Avec la signature du Traité des Pyrénées entre la France et l'Espagne en 1659, la Catalogne est coupée en deux. Pour protéger ces territoires, le célèbre ingénieur et militaire Vauban a la lourde responsabilité de bâtir et d'améliorer une ligne de défense. Dans le massif, trois ouvrages sont particulièrement remarquables. Fort les bains à Amélie-les-Bains, construit en 1683 sur les ruines d'une forteresse du XIIIe siècle, Fort Lagarde à Prats-de-Mollo-la-Preste, bâti en 1686 dans le prolongement des fortifications de la ville et Fort Libéria à Villefranche-de-Conflent qui date de 1681.
Le fort Libéria - Villefranche-de-Conflent
Abbayes et Prieurés
Tel l'Olympe, le Canigó pourrait être la montagne des dieux. Le massif possède tellement d'églises, de prieurés et de monastères dans ses vallées et sur ses crêtes que l'on peut parler d'un véritable art roman catalan. Les Prieurés de Serrabona et de Marcevol se font quasiment face et sont des témoins de ce XIIe siècle qui verra naître les plus belles cathédrales.
Région du Vallespir offrant une vue du Canigou
Les abbayes de Saint-Michel de Cuxa, Saint-Martin du Canigó et de Sainte-Marie à Arles-sur-Tech sont des joyaux de l'art roman catalan bâties dès le Xème siècle et évoluant au fil du temps. Saint-Martin est la plus impressionnante par sa situation, posée sur un piton rocheux tel un vaisseau de pierre. Ces lieux de spiritualité sont toujours occupés par des croyants et des religieux.
Du XVIIe au XIXe siècle, la montagne a souffert des bienfaits qu'elle apportait aux hommes. Il fallait brûler les forêts de ses flancs pour extraire le fer de ses entrailles. Cette déforestation fut une véritable catastrophe écologique.
L'ouverture de pistes aux engins motorisés et par conséquent la facilité d'accès au sommet ont contribué à la mise en danger du massif sur les plans écologique et environnemental. On s'approchait d'un tourisme de masse destructeur qui aurait pu provoquer des dégâts irrémédiables. C'est donc en 1951 que le Pic du Canigó a été classé sur 443 hectares. Enfin, le 13 juillet 2012, le massif du Canigó a obtenu le label Grand Site de France. Aujourd'hui, le site classé compte 23 000 hectares et intègre les trois Réserves naturelles nationales et les cinq refuges gardés du Tour du Canigó.
Le mont Canigou.
Une faune et une flore uniques
Le massif jouit de quatre réserves naturelles, Mantet, Nyer, Py et Prats-de-Mollo-la-Preste. Ces réserves proposent une diversité d'habitats importante allant de la forêt à une lande ou une pelouse, de torrents à des micros habitats comme les mares, de tourbières à des étangs. Les forêts du versant nord peuvent être extrêmement froides alors qu'au sud les expositions sont beaucoup plus chaudes.
Les grands mammifères abondent dans le massif. On peut facilement voir des isards au cours d'une randonnée. Les trois grands prédateurs européens, l'ours, le loup et le lynx ne sont pas tous présents. L'ours a pratiquement disparu des Pyrénées. Officiellement il n'y a pas de lynx, malgré quelques témoignages visuels. Depuis de nombreuses années, le loup laisse des traces dans la neige et ses itinéraires sont connus.
Dans le ciel, on peut admirer l'aigle royal, des vautours fauves, le gypaète barbu et son ventre rouge orangé. Depuis peu de temps le vautour percnoptère d'Égypte niche dans le Vallespir. Les oiseaux sont variés et nombreux, tels les passereaux de montagne, le lagopède alpin ou perdrix des neiges, le grand corbeau, le bec croisé des sapins. Le grand tétras est aussi présent.
Il n'y a pas que des animaux sauvages qui peuplent le massif. Le pastoralisme participe au maintien d'une montagne accessible et entretenue. L'approche d'un troupeau est annoncée par les bêlements, le tintement des cloches, les allers retours incessants des chiens de berger noir et blanc, ou l'aboiement des patous, les grands chiens de protection au pelage blanc.
Le Canigó protège sa biodiversité et sa beauté naturelle. Mais la montagne a également nourri les hommes, leur a donné du travail et les a soignés grâce à ses eaux venues des profondeurs. De son ventre sont sortis des millions de tonnes de fer. De ses flancs, l'homme a rasé des forêts entières. Il a exploité tous les trésors que ce massif pouvait lui apporter ; avec excès dans les temps anciens, avec réflexion de nos jours et surtout une volonté immense de protéger l'existant.