•  Louis ESPARRE (1913-1943)

    En tant qu'agent des Services de Renseignements, il fut condamné au peloton d'exécution par les Allemands. C'était le 28 mai 1943, au Mont Valérien, il y a tout juste soixante-onze ans.

    C'est à Toulouges que naît le 29 octobre 1913 Louis Esparre, Fils de Pierre, fonctionnaire au PTT et de son épouse Isabelle Camo. Après l'École des Ponts et Chaussées et une licence en droit, il devient ingénieur des Travaux Publics. Il effectuera son service militaire dans le Génie puis revient dans le civil pour être affecté en 1937 dans le département de l'Orne comme ingénieur des Ponts et Chaussées.

    Mobilisé au début de la seconde guerre mondiale, il fait la campagne de France ce qui lui vaut déjà une citation à l'ordre du régiment. Le voici sous-lieutenant. Démobilisé après la « drôle de guerre » et l'armistice demandé par Pétain, il reprend son poste d'ingénieur dans l'Orne et son travail lui donne accès à tous les terrains d'aviation du secteur.

    Dès septembre 1940, il est recruté par un ancien officier du Service Renseignements, le S. R. Air, pour entrer en résistance et il devient rapidement le chef du secteur Normandie, monté en 1941 et qui dépend du poste principal de Limoges.

    Cette année-là, Louis Esparre épouse Jacqueline Doucet, la sœur d'un ami de promotion aux Ponts-et-Chaussée, Pierre Doucet, qui entrera également dans le réseau de Résistance.

    Le travail d'Esparre sera de fournir à ses supérieurs des croquis et des photos d'avions en bois et de matériel de camouflage que les Allemands utilisent pour tromper l'aviation alliée. La parfaite connaissance des aérodromes de la région sera un atout pour lui. Car, en effet, pour éviter les bombardements de nuit, les Allemands avaient aménagé, en parallèle à la vraie, de fausses pistes d'atterrissage où stationnaient de faux avions en bois. Lors des alertes, ils mettaient le feu à quelques- uns de ces leurres pour que les tirs de l'aviation alliée soient concentrés sur ce secteur et non pas sur l'aérodrome, laissé dans le noir. Esparre sait que ces leurres sont fabriqués à Caen et Pierre Doucet dénichera l'atelier de reproduction des plans. Appartenant à Henri Brunet, cet atelier a été réquisitionné par les Allemands et Brunet reproduit pour eux tous les plans, depuis les fameux avions en bois jusqu'aux travaux secrets des fortifications de la côte normande en cours de réalisation.Au péril de sa vie, et malgré une étroite surveillance allemande, Brunet s'organisera pour faire un tirage supplémentaire de tous les documents, plus de 4000 en tout.

    Tous ces plans, Esparre les fera parvenir à Paris et ils seront transmis à Londres. Certains plans déterminent les routes suivies par les bombardiers allemands se dirigeant vers l'Angleterre.

    Retour à Perpignan

    Mais Esparre est prévenu que des soupçons se portent sur lui. Sa vie est en danger. Sa hiérarchie, aux Ponts et Chaussées, va réagir rapidement et il est muté en zone libre, à la préfecture de Perpignan, en juin 1941. Il sera remplacé à la tête du réseau par celui qui était son adjoint, Robert Jeanne, officier de réserve de l'armée de l'Air et deux ingénieurs l'assisteront. En fait les Allemands avaient des soupçons sur le travail d'Henri Brunet et mieux valait isoler les personnes gravitant autour de lui.

    Malgré une perquisition effectuée dans son atelier, Brunet va continuer à reproduire clandestinement les photocalques des plans allemands.

    A Perpignan , Esparre a en charge l'entretien du réseau routier de dix-sept communes. Il supervisera également le renforcement des rives de nos rivières contre les inondations. On lui attribuera le 10 novembre 1942 le contrôle des transports de marchandises. A ce moment-là, tout le pays est occupé par les Allemands.

    Le 11 novembre 1942, les Allemands déclenchent une vaste offensive militaire sur tout le territoire. Dans l'Orne, Henri Brunet et Robert Jeanne sont arrêtés. Un à un, les membres du réseau sont neutralisés et emprisonnés.

    Le 18 décembre, au petit matin, Louis Esparre subit une perquisition de la Gestapo à son domicile et il est emmené. Il sera d'abord interrogé à l(hôtel de la Loge puis transféré à la prison de Fresnes, à Paris. Le 4 janvier seulement, la famille recevra un courrier de la police allemande l'avisant qu'il est détenu à Fresnes.

    Les prisonniers, en attente du Conseil de Guerre, n'ont droit qu'à une sortie de 10 minutes par semaine. La faim les tenaille, et pendant la détention de son mari, l'épouse de Louis Esparre, Jacqueline, donnera naissance à un garçon, le 3 février 1943. Louis ne l'apprendra que le 10 avril. Pour faire parvenir des nouvelles à ses proches, il usera de stratagèmes, par exemple un papier, écrit avec une patte de poulet et plié en quatre dans le couvercle d'un pot de confiture. Mais les épreuves les plus dures sont les interrogatoires. On saura plus tard que Louis Esparre a été torturé pendant plusieurs mois et qu'il n'a jamais parlé.

    Procès et verdict

    Le procès va se dérouler à Fresnes du 1er au 10 mai 1943. Un colonel allemand préside le tribunal et la consigne est de protéger sans faiblesse le Reich et le peuple allemand. En conséquence le verdict tombe, le 11 mai. La peine de mort est prononcée pour espionnage à l'encontre des six membres du réseau, dont Henri Brunet, Louis Esparre et son beau-frère Pierre Doucet. Les autres membres seront condamnés à des peines de prison. Dans l'après-midi du 17 mai, le père, la mère et l'épouse de Louis Esparre sont admis auprès du condamné qui verra pour la première fois, mais aussi la dernière, son petit garçon âgé de trois mois. Une visite d'à peine un quart d'heure dont on devine l'énorme poids émotionnel.

    Le 28 mai, dans la missive à ses parents, Louis Esparre, porté par la foi, dit qu'il pardonne tout le mal qu'on a pu lui faire et qu'il priera, de là-haut, même pour ceux qui ont contribué à le conduire au sacrifice suprême.

    L'aumônier allemand, qui a assisté à l'exécution, dira que Louis Esparre est mort en héros, qu'il a refusé d'être attaché et d'avoir les yeux bandés. Il tombera sous les balles ce 28 mai 1943 à 16 heures, au Mont Valérien, en même temps que son beau-frère Pierre Doucet et Robert Jeanne en criant : Vive la France !

    Louis Esparre fut d'abord inhumé au cimetière d'Ivry mais, par la suite, son père fit revenir sa dépouille à Perpignan où des obsèques solennelles furent célébrées le 10 octobre 1945. Il repose désormais à Toulouges, dans le caveau familial. Son beau-frère, Pierre Doucet a été inhumé à Sées, dans l'Orne, aux côtés de ses parents.

    Le 17 août 1948, lors de l'anniversaire de la libération de Perpignan, un petit garçon, en larmes, recevra pour son père la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur, devant le Monument aux Morts et les troupes présentant les armes.

    A titre posthume, Louis Esparre a été décoré de la Croix de Guerre avec palme et il a été cité à l'Ordre de l'Armée.

    Les villes de Perpignan, Juvigny-sous-Andaine (Orne) et Toulouges ont honoré la mémoire de Louis Esparre en lui dédiant des noms de rues ou de places.

     Louis ESPARRE (1913-1943)

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon »


  • Retirada : l'enfance volée ou quand Louisette a dit adieu à l'insouciance

     Col de Balitres, février 1939. Photo/Manuel Moros, fond Peneff

    Louise Serra n'avait que 10 ans lorsqu'elle a vécu l'exil. 75 ans après, comment oublier ? Elle raconte.

    "Mon enfance s'est terminée le 31 janvier 1939". Ainsi s'achève le texte écrit l'an dernier, à l'occasion d'un atelier de la mémoire, par Louise Serra. Ou plutôt Louisette, Lluiseta. On l'a toujours appelée ainsi, pour la différencier de sa mère, Lluisa. Mais ce 31 janvier 1939, la petite fille a tout perdu de son insouciance, à part peut-être ce diminutif.

    La phrase

    "Au camp il y avait une résistance. On n'était pas des moutons. Il y avait une solidarité. On n'était pas des bêtes mais des êtres humains".

    Ce jour-là, aux côtés de sa maman, elle a quitté sa terre de naissance. Pour toute la vie. 75 ans après, dans son logement situé dans une résidence pour personnes âgées de Perpignan, elle en parle comme si elle le revivait. Et pourtant. Elle n'avait que 10 ans.

    "Nous étions à Port-Bou, hébergés par des personnes que nous avions accueillies nous-mêmes, dans notre village de Ulldecona, au-delà de l'embouchure de l'Ebre. Le 31 janvier, on a su que la frontière allait être ouverte pour laisser passer les femmes, enfants, personnes âgées ou malades. Nous sommes montées jusqu'au col. A midi, les gendarmes nous ont dit que l'on pouvait passer. Quelques heures plus tard, ils ont refermé".

    Un frère que l'on revoit 17 ans après 

    La barrière est retombée, tel un couperet sur l'espoir de retour. Derrière elle, Louisette a laissé bien plus qu'un pays : une famille. "Avec maman, nous avions fui notre village, dans un camion, dès le 5 avril 1938, en raison de l'avancée des troupes franquistes. Papa, qui était adjoint au maire, était resté là-bas pour poursuivre son activité, même s'il ne pouvait rejoindre l'armée républicaine en raison de sa santé. Mon petit frère, qui avait 5 ans et qui était malade, est resté à la campagne chez mes grands-parents. Je ne l'ai revu que 17 ans plus tard…".

    Son père, elle le retrouvera quelques mois après. Il a franchi la frontière peu de temps après sa femme et sa fille, le 12 février. Et comme tant d'autres, il a rejoint aussitôt le sordide camp d'Argelès, à même la plage. Louisette et sa mère ont évité, au moins un moment, cette destination indigne. "Arrivées à Cerbère, maman a pu téléphoner à des connaissances que nous avions à Latour-Bas-Elne, qui nous ont récupérées". Elles étaient libres, c'était déjà bien. Mais Louisette se souvient comment elle était "la rouge", que l'on oblige à faire sa communion pour pouvoir aller à l'école des bonnes sœurs.

    "Je n'en ai jamais voulu à la population française, jamais. Mais à la presse, oui. Et au clergé, qui répandait des choses horribles sur les Républicains". Mais elle se rappelle aussi des marmites que les habitants du coin amenaient sur le bord des routes, pour donner un peu de chaleur aux réfugiés qui déambulaient, transis de faim et de froid.

    Suppléments d'âmes dans le camp  

    La faim, le froid, et pire encore : Louisette finira hélas par les connaître. "En septembre 1939, au moment de la déclaration de la seconde guerre mondiale, le gouvernement français a décidé que les Espagnols non déclarés devaient aller dans un camp. Alors, on nous a emmenées".

    Elle s'insurge encore, dans un haussement d'épaules : "Franchement… Comme si une femme de 40 ans et une gamine de 10 ans pouvaient représenter un risque ? Etre des espionnes, peut-être ?…"  Et c'est ainsi que Louisette et sa mère n'ont pu échapper à l'enfer d'Argelès. Elles y ont survécu huit mois, jusqu'à ce que le père, interné sur la même plage, soit engagé comme bourrelier par l'armée française, à Rennes. "Il a pu réclamer sa famille, comme on disait, et nous l'avons rejoint".

    Pendant l'internement, Louisette n'a vu son père qu'une fois. "On ne pouvait pas se voir. Le camp des hommes, à droite, et celui des femmes et enfants, à gauche, étaient séparés par un petit torrent, et, comme si cela ne suffisait pas, par des barbelés".

    Parfois, la noirceur était éclairée par des suppléments d'âmes. Celui de ce gendarme français par exemple, qui a permis à la petite fille de voir son papa. "Mon père l'avait contacté. Il est venu me chercher dans notre baraque, qui était près de l'eau. On est remontés par la mer pour contourner les barbelés, et j'ai pu passer la journée avec mon père. Le gendarme m'a raccompagnée le soir".

    Louisette insiste : "Dans les camps, on était solidaires. On n'avait rien, mais on était solidaires. Des institutrices espagnoles nous faisaient la classe. Avec pas grand-chose : un morceau de craie, un bout de papier. Ce n'était pas tant pour enseigner. Surtout pour montrer que la vie continuait".

    Souvenirs douloureux et hommage aux mamans

    Un cri qui poursuit 

    Longtemps, un cri a hanté Louisette. "Un jour, une femme a accouché dans la baraque à côté. Elle a réussi à le faire savoir à son mari, qui était dans le camp des hommes. Il a voulu sauter les barbelés pour venir la voir. Mais il a été embroché par un garde…"

    La vielle dame s'arrête, ferme les yeux et reprend : "Le cri de cet homme m'a longtemps poursuivie et réveillée en sursaut dans la nuit. Cela s'est estompé lorsque je suis revenue et que je suis allée dans les camps. C'était comme si j'avais fait un retour sur moi-même".

    Ce retour, c'était en 1980. A cette date, elle est venue passer sa retraite à Perpignan avec son mari Miquel, qu'elle a connu en 1945, et disparu en 1989. Lui aussi a connu l'exil, mais également la barbarie des camps nazis.

    "Malgré tout, j'ai eu beaucoup de chance, je suis une femme comblée. J'ai eu un mari magnifique, trois fils qui ont réussi", sourit pourtant Louisette. Elle montre les photos de bébés qui occupent tout un mur de sa chambre : ses fils, ses 5 petits-enfants, ses 3 arrière-petits-enfants. Elle les passe en revue avec fierté, indique leurs lieux de naissance et de résidence, en différents points du globe. Pour Louisette, il n'y a plus de frontière qui tienne, juste un amour sans limite.

    Grâce aux mamans (extraits de témoignages recueillis par l'association FFREEE)

    L'an dernier, plusieurs "enfants de la Retirada", réunis par l'association Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l'Exode (FFREEE), ont témoigné.

    Extraits de ces récits émouvants, réunis dans un DVD. Avec, en guise de fil conducteur, un hommage vibrant aux mamans.

    Gilbert Susagna, né en septembre 1935. Originaire de la province de Lleida. Passé en France en janvier 1940. A connu les camps de Bram, Argelès, Rivesaltes. "J'ai un souvenir extrêmement ému de mes parents et de cette période. Mais je dois dire que, si je suis un vétéran des camps, je n'ai pas de mauvais souvenirs. Pourquoi ? Parce que j'avais avec moi l'amour de ma mère. Et l'amour de ma mère, c'est une panacée. Le chemin te paraît plus court. Elle te protège de tout ce qui peut t'atteindre".

    Roser Gilbert Coll. Elle avait un an et demi quand elle est passée en France avec sa mère. "Ma mère est allée de refuge en refuge, dans des maisons inhabitées. Elle a fait beaucoup de sacrifices. Elle ne mangeait rien, elle me donnait tout. Tous les jours, elle allait à la rivière et elle me peignait, parce qu'il y avait beaucoup d'épidémies de poux, de punaises, de choses comme ça".

    Miguel Martinez, né en 1931, originaire de Valence. Il a fait la traversée en mars 1939 avec ses parents. A Oran, il a été séparé de son père et a été interné avec sa mère dans la prison désaffectée de la ville. "Il me reste des flashs (...). Une des images marquantes, c'est quand ma mère comme toutes les femmes, ainsi que nous les enfants, nous sommes passés à la désinfection. Toutes ces femmes nues, qui recevaient ces jets... (...). A la prison d'Oran, il n'y avait pas d'eau courante, mais il y avait un puits. Alors nous, les enfants, on passait notre temps à puiser l'eau et à la ramener dans les chambrées. Oui, voilà ce que l'on faisait de nos journées". 

    Article paru dans L'Indépendant


  • Dans l’antichambre des camps de la mort

    Plus de 4400 juifs déportés de Belgique ont été internés au camp de Saint-Cyprien, créé en 1939 lors de la « Retirada ». Notre histoire récente, comme pour s’excuser, n’en finit pas de livrer toutes ces pages douloureuses. Et celle-ci l’est particulièrement.

    En mai 1971, un couple belge en instance de mariage vient visiter le Vallespir pour y acheter une résidence. La mère du jeune homme insiste pour faire un détour par Saint-Cyprien. Personne ne remarque qu’elle paraît chercher quelque chose dans le paysage et, visiblement déçue, elle se tourne vers la mer et, à demi mots, elle lance : « Et pourtant, ici, il y avait bien un camp ! ».

    Le fils ne comprend pas : « je ne trouvais pas le moindre élément rationnel me permettant de saisir le sens de son exclamation, encore moins d’en comprendre la raison » écrira-t-il plus tard. Et sa mère, qui n’était jamais venue à Saint-Cyprien, n’ajouta pas un mot.

    Le couple se marie, achète la propriété convoitée à Saint-Laurent-de-Cerdans, puis part en Afrique pour une vingtaine d’année. Avec leurs enfants, ils viennent toutefois passer les congés en Roussillon.

    Le 27 décembre 1987, la mère du jeune homme décède à Anvers et « pas une fois au long des seize ans qui ont suivi cette visite à Saint-Cyprien, elle n’aura fait la moindre allusion à cet épisode » affirme-t-il.

    Le jeune homme en question c’est Marcel BERVOETS, l’auteur de « La Liste de Saint-Cyprien ». Ce qu’il connaissait du passé de sa famille n’était que fragmentaire, toujours dû au silence de sa mère. Il savait cependant que son père était Juif autrichien, ayant fui Vienne pour se réfugier à Anvers, qu’il avait été déporté à Buchenwald où il était mort en 1945. Marcel, né en 1941, avait été élevé par son père adoptif avec qui sa mère avait refait sa vie et portait son nom depuis 1958.

    En mai 2002, l’Autriche voulant procéder à des indemnisations suite à la persécution des Juifs à partir de 1933, demande aux ayants droits de se faire connaître. Marcel BERVOETS, par curiosité, s’inscrit et reçoit un dossier qu’il range sans y donner suite, laissant s’écouler le délai limite. C’est son épouse qui va le pousser à entreprendre des investigations sur le passé de son père Hans en Autriche, entre son départ de Vienne en 1938 et sa mort à Buchenwald en avril 1945.

    Il reconstitue le passé

    Et là commence un véritable travail de fourmi qui va aboutir à une gigantesque reconstitution dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas favorable au gouvernement de l’époque.

    Par recoupements familiaux, Marcel apprend que son père, arrivé et domicilié à Anvers en septembre 1938, avait séjourné en 1939 dans un centre d’internement et que, le 10 mai 1940, jour de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, il avait été envoyé dans un camp d’internement en France avec son frère Otto, dans le même convoi.

    Une anomalie frappe immédiatement l’esprit de Marcel BERVOETS : Comment était-il possible que les Allemands, dès le premier jour de la guerre, aient pu prendre le contrôle de la population et procéder aussitôt à des déportations ? « Pourquoi une telle précipitation ? » écrit-il. Il découvrira que, en fait, les déportations sont de la responsabilité exclusive de l’Etat belge qui, depuis longtemps, a constitué des fichiers. Et, en entente avec le gouvernement français, ces déportations ont pris la direction d’un camp au Sud de la France, à Saint-Cyprien, près de Perpignan. Marcel comprend soudain la signification de la réflexion de sa mère, trente-deux ans auparavant : « Et pourtant, ici, il y avait bien un camp ! ».

    Ce camp, il va essayé de le retrouver à Saint-Cyprien mais il n’en reste absolument aucune trace. Rien non plus, semble-t-il, dans les souvenirs des autochtones qu’il rencontre. Même à la Mairie, on ne sait rien sauf qu’il existait bien un camp. Quelqu’un lui suggère d’aller consulter les Archives Départementales et là, surprise ! il trouve enfin la première trace écrite du passage de son père Hans et Otto TRAGHOLZ – c’est le nom de naissance de Marcel BERVOETS – avaient bien été internés à Saint-Cyprien en mai 1940. Mieux, sur une fiche individuelle de chacun des frères est inscrite la mention : évadé du camps de Gurs. On lui dira que Gurs était aussi un camp d’internement situé dans les Landes.

    Arrivé en mai 1940 à Saint-Cyprien (voir la page Au camp de Saint-Cyprien) ils y seraient certainement restés s’il n’y avait pas eu l’épouvantable « aiguat » d’octobre qui dévasta une partie du département, Hans et Otto, avec d’autres passent par le camp de Rivesaltes avant d’être envoyés dans les Landes à Gurs, où les conditions d’internement sont aussi mauvaises qu’à saint-Cyprien.

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    Trajet ferroviaire des convois de déportés de mai 1940 depuis Bruxelles jusqu’au camp de Saint-Cyprien

    Mais entre-temps il y eu l’armistice, demandé par Pétain le 22 juin 1940. Vont-ils pouvoir rentrer chez eux ? Oui, sauf pour les Juifs. « Pour eux, pas de libération, pas de rapatriement ». C’est ainsi que Hans et Otto se retrouvent à Gurs d’où ils s’évadent fin décembre 1940 et regagnent la Belgique. Pour les autres, ce sera bientôt le chemin de la mort.

    Marcel BERVOETS retrouve la trace de son père à Anvers où, début janvier 1941, « il se fait enregistrer à la commune et reçoit un document Modèle BATTESTANT de son inscription. Les autorités savent donc exactement où il se trouve ». Le 18 juin 1941, Hans TRAGHOLZ se marie avec Sonia LEIBOVITCHE et Marcel naît peu après. Arrêté par la Gestapo en juillet 1942, Hans passe par plusieurs camps de concentration avant d’être envoyé à Buchenwald où il meurt en avril 1945.

    Dans les conclusions de son remarquable ouvrage, édité en 2006, Marcel BERVOETS-TRAGHOLZ souhaite qu’un mémorial, à la charge exclusive de l’Etat belge, soit réalisé à Saint-Cyprien « afin de sortir de l’oubli les Israélites de Belgique qui ont été expulsés le 10 mai 1940 de leur rendre hommage et d’entretenir leur souvenir ». Ils étaient 4419, dont la liste exacte a été reconstituée et a donné son titre à l’ouvrage.

    En Belgique, Hans TRAGHOLZ est aujourd’hui comme étant « Mort pour la Belgique ». Son fils n’accepte pas cette épitaphe : « la seule qui s’impose, dit-il, est Mort par la Belgique. 

    Les internés juifs de Belgique à Saint–Cyprien (1940)

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon » 


  • De tous les camps créés à la hâte en 1939 lors de la « Retirada », celui de Saint-Cyprien semble le plus méconnu. Nous avons rassemblé les éléments disponibles pour essayer de reconstituer l’historique de ce lieu où ont souffert des milliers de réfugiés espagnols.

    Combien étaient-ils, ceux qui ont connu les affres d’un internement en ce coin du Roussillon ? Là aussi, les chiffres ne sont pas précis : 70000, 90000, peut-être plus.

    Les camps d’internement provisoire de notre région : Argelès, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Les Haras à Perpignan, ont été créés hâtivement à la suite de l’exode massif des républicains espagnols vaincus par l’armée franquistes, dans cette guerre civile qui durait depuis 1936. Début février 1939 les autorités françaises sont contraintes d’ouvrir la frontière derrière laquelle se massent des milliers et des milliers de réfugiés, hommes, femmes et enfants. Certains réfugiés, des paysans ont quitté leur village en emportant avec eux leur cheptel – chevaux, vaches, moutons – Devant cet afflux, les services français chargés de les accueillir sont rapidement débordés et, pour appliquer les directives du décret ministériel de novembre 1938 qui prévoit « l’internement administratif des étrangers considérés comme indésirables », ils vont d’abord improviser des camps situés le long de la frontière : Osséja, Mont-Louis, Latour-de-carol, Bourg-Madame, Prats-de-Mollo, Arles-sur-Tech, Le Boulou. Ces camps n’auront qu’une existence éphémère car ils seront immédiatement saturés. Le premier camp constitué où sont conduits les réfugiés espagnols est celui d’Argelès-sur-Mer – à noter que la municipalité, non consultée, est simplement informée qu’un camp est ouvert sur son territoire – et déjà le terme de « camp de concentration » est employé le 2 février 1939 par le ministre de l’Intérieur Albert SARRAUT. « Ce ne sera pas un lieu pénitentiaire : un camp de concentration, ce n’est pas la même chose » affirme-t-il.

    Le camp de l’Aygoual

     

    Le camp de concentration de Saint-Cyprien (1939-1941)

    Le camp (en bas à gauche) Collection Jean Josset

    Argelès étant lui aussi en surpopulation, de nouveau espaces sont recherchés et c’est à Saint-Cyprien, dans la zone marécageuse de « l’Aygual », sur le chemin départemental menant du village à la mer que va être installé un nouveau camp, d’une superficie de 184 hectares. Il longe la mer sur plus de 1500 mètres et aura une largeur de 1000 mètres environ. Les travaux de construction des baraques débutent le 4 février 1939 sur ce désert de sable et dès le 8, à partir de 14 heures, les gardes mobiles escortent les premiers réfugiés espagnols en provenance d’Argelès. Leur travail sera tout d’abord d’entourer le camp d’un réseau de barbelés sur trois côtés, le quatrième donnant sur la mer.

    Certains creusent des trous dans le sable pour atténuer les effets de la tramontane. En quelques jours, ils sont des dizaines de milliers sur cet espace vide battu par le vent et entouré de barbelés mais déjà, à l’entrée du camp, il a été dressé un monumental arc de triomphe métallique surmonté de deux drapeaux tricolores. Sur le fronton, on lit l’inscription : « Camp de concentration de Saint-Cyprien ». Ce qui va poser un problème immédiatement, c’est la situation sanitaire. L’eau, tirée des nappes peu profondes, de nature saumâtre, va être rapidement polluée par les déjections humaines et animales. Des épidémies de fièvre typhoïde et de diphtérie se déclarent quasi instantanément.

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    Pour se protéger du vent, du sable et du froid, les réfugiés tendent des couvertures sur les branchages

    À la fin des travaux de construction, le 1er juillet 1939, le camp comprend 649 bâtiments de planches et de tôles répartis sur 17 îlots. Certaines baraques en bois de style Lombardi ont une superficie pouvant aller jusqu’à 150 mètres/carrés. On les retrouve également dans les autres camps comme celui de Gurs, dans les Landes. Sur le plan, on peut lire la note suivante : « Système permettant une très grande rapidité d’exécution ». Eh oui, bien sûr, il faut aller vite, très vite et les baraques, livrées en éléments démontés, seront simplement fichées dans le sable, il n’y a pas de plancher prévu, pas de chauffage, pas d’électricité ni le moindre élément du plus élémentaire confort. Vont prendre place à l’intérieur jusqu’à soixante détenus. On relève sur le site 14 types différents de construction et certaine n’ont même pas de porte. Cependant, avant que les baraques ne soient mises en place, les réfugiés n’ont pour abri que des couvertures jetées sur des branchages alors que le froid est très vif.

     

    L’occupation du camp

    De février 1939 à janvier 1940, la population internée est pratiquement composée de réfugiés espagnols. Cependant, dès les premiers mois à cause de transferts dans d’autres camps, d’émigration vers les Amériques ou de retours – risqués – en Espagne, les effectifs décroissent. Certains ont également choisi de s’engager dans les rangs de la Légion Etrangère et d’autres encore obtiennent des permis de travail en France. En janvier 1940, le camp de Saint-Cyprien est pratiquement vide. Pas pour longtemps car, dès la fin mai 1940, les premiers trains amenant les Juifs expulsés de Belgique arrivent à la gare d’Elne. Cette « période juive », méconnue de la plupart de nos historiens, nous a été récemment révélée par le fils d’un interné qui a reconstitué l’identité des 4419 pensionnaires du camp. Il est intéressant de constater que, à cette occasion, le camp est devenu « Camp d’hébergement ». Nous savons également que la majorité des internés juifs de Saint-Cyprien a été ensuite envoyée dans les camps d’extermination nazis, via Rivesaltes ou Gurs puis Drancy.

    À ce jour, alors que l’historique du camp est à peu près connu, il reste tout de même une question sans réponse : Que faisait-on des morts ? Il n’est pas possible qu’il n’y ait eu que 50 décès dans ce camp peuplé de milliers de réfugiés alors que l’on sait que des épidémies dues à la mauvaise qualité de l’eau ont fait de nombreuses victimes. Bien sûr, on emmenait certains malades à l(hôpital de Perpignan où ont été constatés quelque 200 décès mais les historiens sont d’accord pour dire qu’il y a eu beaucoup plus de victimes. Que sont-elles devenues, le sable aurait-il été leur tombeau ?

    Après les catastrophiques inondations d’octobre 1940, le camp est à peu près déserté. Son démembrement débute fin octobre et durera jusqu’en septembre 1941. Quelques six mille piquets de fer seront cédés aux Ponts et Chaussées qui les utilisera pour consolider les berges dévastées de la Têt, l’Agly et le Tech.

    Article paru dans « La Semaine du Roussillon »


  • C'est un document exceptionnel que nous a confié l'institut Jean Vigo. La cinémathèque euro-régionale possède l'original du film tourné par Louis Llech et Louis Isambert à l'hiver 1939 sur l'exode des républicains espagnols dans les Pyrénées-Orientales. Ce document aussi rare que précieux a été édité en DVD avec la musique de Virgile Goller avec l'ouvrage « La retirada en images mouvantes » (ed. Trabucaire) faisant suite aux actes du colloque de l'Institut autour " archives mouvantes "de la Retirada.

    A l'heure des commémorations du 75ème anniversaire de la Retirada, l'Indépendant souhaitait proposer une partie de ce film jamais diffusé sur internet ni à la télévision. Ce document amateur qui montre l'arrivée des républicains à la frontière jusqu'aux camps est un donc une source iconographique unique alors que les images filmiques sur la Retirada sont rares. Il est ici proposé dans sa version intégrale. L'Indépendant remercie chaleureusement l'Institut Jean Vigo, les éditions Trabucaire et Virgile Goller.

    http://www.lindependant.fr/2013/02/22/fevrier-1939-le-film-de-l-exode-d-un-peuple,1730042.php