• Jean-Baptiste Delhoste (1846-1919) Fondateur du premier Syndicat des Jardiniers de France

    Ce n'est pas tout à fait par hasard si le poète-écrivain Albert Saisset, dit « Oun Tal » a hérité de son arrière-grand-père, le notaire Sauveur Jaume, de quatre hectares de terre du côté des Jardins Saint-Jacques à Perpignan. Son grand-père présida la Commission syndicale du « Rec dels hortolans » (organisations agricoles), toujours aux Jardins Saint-Jacques et son père, le banquier Augustin Saisset possédait en 1870 le moulin hydraulique médiéval sur le « rec del Vernet » au lieu-dit La Poudrière, tout près de l'actuelle clinique La Roussilonnaise. Lui même fut syndic d'une « agulla » - un canal – et on connaît la rigueur avec laquelle le problème de l'eau était traité à l'époque.

    Donc, notre poète est l'un des collègues des Delhoste, dont le mas familial se situe au milieu des jardins de Neguebous. C'est dans le mas que naît Jean-Baptiste le 14 février 1846. Son père y était né en 1810 tandis que son grand-père, lui, avait vu le jour au quartier Saint-Jacques en 1782. Une lignée de maraîchers car, déjà en 1579, leurs ancêtre Jaume et Montserrat Delhosta (le nom fut francisé par la suite) payaient les taxes des agulles. La mère de Jean-Baptiste, qui fut surnommé très vite Batistou, est la fille d'un tisserand du quartier Saint-Jacques et d'autorité, elle décide que l'aîné de ses fils sera prêtre. Sans doute faisait-elle référence à l'un de ses grands-oncles, un prêtre qui émigra en Louisiane, acheta des terres sur les bords du Mississippi, participa à la campagne du Mexique, revint en France et acheva sa vie en 1865 comme chanoine de Limoges sous le pseudonyme de Jules de L'Hoste.

    Le père et le beau-père de Batistou sont Regidors de la Sanch, et l'oncle Julien est vicaire de la cathédrale Saint-Jean mais aussi archiviste de l'Association Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales – qui deviendra la S.A.S.L -. Une famille qui, on le voit, est entièrement dévouée à l'église.

    Le frère aîné, Henri, celui qui devait être prêtre, décède en 1855 au siège de Sébastopol et Jean-Baptiste devient en 1863 le responsable des exploitations de Saint-Jacques, de Saint-Estève et du Vernet.

    Il épouse en 1868 Marguerite Tarrissou, issue elle aussi d'une ancienne famille d'horticulteurs.

    Les Delhoste, maîtres de l'eau

    Malgré son jeune âge, il n'a que 22 ans, il gère avec sérieux les parts d'héritage de sa belle famille à Bajoles et à Saint-Gaudérique où elle possède les terres et caves qui deviendront en 1946 le mas de Sant-Vicenç. Il devient « hortolà » et viticulteur, affirmant au fil des années une personnalité et un savoir-faire qu'il doit à la gestion de l'eau. Car il a de qui tenir, le Batistou : le 10 fructidor de l'an IX, son arrière-grand-père Joseph Delhoste-Mirous était élu syndic de « l'agulla de Saint-Mamet i Malprat ». Le 21 mars 1824, son grand-père Julien Delhoste le devenait « en remplacement de son père décédé au cours de l'année » et occupera cette fonction pendant trente ans. Le 24 mars 1867, son père Jean est à son tour élu syndic en remplacement de Jean Brousse et enfin, de juin 1879 jusqu'à sa mort, Jean-Baptiste Delhoste sera d'abord syndic puis directeur-syndic du canal.

    Les Delhoste sont donc restés près de 120 ans au service de l'eau, cette eau précieuse qui est la vie de l'horticulture, le poumon vert du Roussillon. Car on va demander à Jean-Baptiste de prendre également en gestion les canaux du Vivier du Champ de Mars, de Vernet de Pia et enfin le ruisseau des Jardins Saint-Jacques. Le voici patron, pour ainsi dire, de la distribution d'eau d'irrigation de la majeure partie de la plaine roussillonnaise.

    Avec diplomatie, Jean-Baptiste négocie avec les notables urbains qui vont céder progressivement la place aux patrons-jardiniers, plus nombreux tous les ans et mieux organisés, curieux de progrès et avides de connaissances nouvelles.

    Après la Révolution et ses soubresauts, les « hortolans » se replient et attendent des jours meilleurs. En 1840, les premières tentatives de regroupement mutualiste voient le jour en France, en 1842, Sauveur Trapé, dont les ancêtres ont appartenu à la Conférence des Jardiniers, lance la Société de Bienfaisance des Brassiers de la paroisse Saint-Jacques et la réal, un projet qui échouera. En 1847, une Société d'Horticulteurs est crée par les jardiniers Conort et Ferréol Pomès dont le siège est Place du Puig. Le coup d'état de Napoléon III de 1851 la fera également disparaître.

    C'est la loi du 21 mars 1884 sur la liberté d'association qui permettra la création d'un mouvement à la tête duquel se trouvera Jean-Baptiste Delhoste. L'arrivée du chemin de fer en 1859 avait déjà profondément modifié l'économie agricole. On passe de 7140 tonnes de primeurs expédiées en 1879 à 20255 tonnes en 1913 et certains producteurs estiment qu'il faut ouvrir un marché de gros car la concurrence est désorganisée, certains expédiant directement leurs produits vers Bordeaux, Lyon ou Paris. En 1850, les jardiniers possèdent 144 emplacements sur la Place de la république et en 1880 ils sont 450.

    Le premier syndicat de France

    C'est une nuit d'hiver de l'an 1884 que Jean-Baptiste Delhoste réunit tous les jardiniers de Perpignan au théâtre de l'Alcazar, sur les bords de la Basse. La première chambre syndicale est constituée et désigne les vingt membre de son premier bureau. Jean-Baptiste Delhoste précise : « À la presque unanimité, j'obtins la présidence et, séance tenante, les membres présents se firent inscrire, prirent le livret et versèrent leur première cotisation ».

    215 chefs d'exploitation signent le document historique dont l'original a été conservé par le petit-fils du fondateur, Julien Delhoste, décédé à Pézilla-de-la-Rivière en 1985.

    La première chambre syndicale des jardiniers de France venait de voir le jour à Perpignan. Mais la création du marché de gros, hors la Place de la république, ne se réalise pas facilement, certains jardiniers y étant opposés. Enfin, le 28 mars 1897, le Conseil Municipal de Perpignan vote son transfert et le 16 mars 1899 à lieu l'inauguration au lieu-dit La Pépinière, le long des rives de la Têt.

    Avec son frère Henri et son collègue le conseiller municipal Julien Barate il va créer les premières entreprises industrielles de compost et d'engrais. En 1904, c'est l'Assurance Mutuelle des Jardiniers de Perpignan qui voit le jour. Ils sont une dizaine en 1904 puis 40 en 1916, refusant le « suicide » en ne cédant pas aux avances de la Roussillonnaise en 1911.

    Mais jusqu'à sa mort, jean-Baptiste Delhoste s'adonnera à d'autres occupations, bénévoles mais toujours liées à la profession. Allant chez les uns et les autres, au gré des conflits, il va régler à l'amiable, dans la majorité des cas, des désaccords d'eau, de succession, de délimitation de terres. Sa probité, son attachement à la langue maternelle font que l'évêque Monseigneur De Carsalade du Pont, « el bisbe dels catalans » comme on l'appelait, est venu passer quelques après-midi au mas de Neguebous. Les successeurs de Batistou à la tête du syndicat ont pour nom François Piqué, Raphaël Pomés et François Taillade. Ils pérennisent la mémoire multiséculaire des « Hortolans de Perpinyà ».

    Au début des années 80 était inauguré à Saint Charles le Marché au Cadran. Une exposition sur la fondation en 1884 de la Chambre Syndicale des Jardiniers de Perpignan et des environs fut organisée par Jacques Deloncle, à la demande de Joseph Palau, adjoint au maire de Perpignan. C'est à cette occasion que le portrait de Jean-Baptiste Delhoste était enfin retrouvé et dévoilé au public.

     Jean-Baptiste Delhoste (1846-1919)

    La répartition de l'eau d'arrosage

    Elle se faisait par rapport à une surface donnée selon les « tours » d'arrosage codifiés avec précision dans le règlement. Au point de départ de la prise d'eau se situait une pierre percée d'un orifice circulaire, « l'ull » par lequel passait l'eau. Cet orifice était soigneusement rebouché après usage.

    Le partage quotidien de l'eau est devenu très tôt la cause principale de l'organisation des hortolans entre eux.

    Pour une totale efficacité du volume disponible, les moulins pouvaient utiliser l'eau la nuit et les maraîchers la reprenaient au lever du jour.

    Il pouvait exister plusieurs catégories en fonction de la valeur de la terre et de leur besoin en eau. Par exemple, le maraîchage était classé en 1ère catégorie tandis que le verger, ayant de moins d'eau était classé en 2ème catégorie.

    Le tout était soumis à un strict règlement et tout contrevenant était fortement verbalisé.

    Article paru dans la Semaine du Roussillon


  • Frontière et contrebande en Roussillon au XIXème siècle

    L'histoire de la frontière et de la contrebande sous-entend un problème plus large, celui de la continuité des courants, des liens étroits après le Traité des Pyrénées de 1659 entre les deux Catalognes : pour les frontaliers des Pyrénées-Orientales, la frontière n'existe pas comme il n'y a pas de contrebande et le Roussillon demeure catalan : on vit de façon semblable des deux côtés de la frontière. S'il y a une vraie coupure, elle se situe aux Corbières : ici la civilisation est différente, la langue. Les courants économiques poussent toujours les hommes à regarder vers le Sud, et les limites imprécises de la frontière en Haut-Vallespir, en Cerdagne autour de Palau et de Llivia facilite en cela l'activité de la contrebande. Jusqu'au blocus continental, la douane et les pouvoirs politiques ferment les yeux.

    Le XIXème siècle naissant va voir changer l'état d'esprit des pouvoirs publics : d'abord la contrebande se transforme, ce n'est plus le sucre ou le tabac qui constituent l'essentiel du trafic mais bien ce qui est en jeu, la maîtrise industrielle du pays ; la contrebande aide au développement industriel de la Catalogne par l'exportation illégale de métiers à tisser Jacquard, par le débauchage d'ouvriers français.

    Les troubles espagnols aidant, l'insécurité s 'accroît le long de la frontière, des bandes armées à l'images des célèbres Trabucayres sèment la terreur: le contrebandier devient un homme dangereux.

    Frontière et contrebande 

    Un contrebandier (A.D. Pyrénées-Orientales)

    La frontière dès lors s'impose aux yeux des Roussillonnais, elle représente une ligne de protection contre les troubles espagnols : elle devient peu à peu la prise de conscience d'appartenance à une réalité différente.

    C'est en 1830-1850 que le Roussillon découvre que son destin désormais est au Nord, le chemin de fer de Narbonne à Perpignan y pourvoira. 

    Frontière et contrebande

    En Cerdagne, douaniers français en embuscade (A.D. Pyrénées-Orientales)

    La Frontière

    Qui dit contrebande dit frontière. Celle-ci doit être étudiée en tenant compte du contexte historiques et géographique.

    La Convention de Céret en 1660, à la suite du Traité des Pyrénées, délimite la frontière : celle-ci court en principe le long des lignes de crête et de partage des eaux, sauf pour trois zones qui y échappent. En effet, la plaine de Cerdagne est séparée en deux par l'enclave de Llivia, le Cap Creus revient à l'Espagne et le Haut-Vallespir est artificiellement découpé. Ces tracés imprécis favorisent au XIXème siècle la contrebande.

    A cela s'ajoute l'absence de bornes sur la frontière jusqu'en 1870 qui entraîne des conflits quotidiens : ainsi les habitants de Llivia viennent chercher du bois en France, des soldats français dressent les embuscades sur le versant espagnol, des violences sont commises par des garde-côtes espagnols dans les eaux françaises …

    Cependant, peu à peu, la frontière s'inscrit non seulement dans le paysage géographique,

    mais aussi dans les esprits et finit par devenir une réalité au point de faire de l'espace frontalier une terre d'asile pour les réfugiés politiques français et espagnols. 

    Frontière et contrebande

    Le Perthus – Poste des carabiniers Espagnols (Collection Jean Josset)

    La contrebande

    Sous le Premier Empire, la frontière est pour la première fois effectivement fermée en raison de la guerre en Espagne et du blocus continental. La contrebande se développe alors de façon considérable pour alimenter la France en produits tropicaux manquants (sucre, café...). Les routes du Roussillon, propices au trafic, sont nombreuses.

    Quatre zones servent de plaques tournante :

    - La Côte Vermeille à partir de Banyuls-sur-Mer, véritable cité contrebandière où presque toute la population s'adonne au trafic et n'hésite pas à intimider la douane en incendiant ses bateaux

    - Le Vallespir où les liens économiques avec le reste de la Catalogne sont étroits

    - Le Conflent autour du Massif du Canigou

    - La Cerdagne à partir de Llivia, de la vallée du Carol et du Puigcerda.

    Frontière et contrebande

    Borne frontière dite de la Vignole entre Enveitg et Puigcerda 

    Les contrebandiers sont issus de tous les milieux sociaux avec en majorité de petites gens. Ils n'agissent pas uniquement seuls, mais s'organisent aussi en bandes imposant leur loi dans les villages du Vallespir.

    Les contrebandiers, devant l'importance des bénéfices, affrontent avec hardiesse les dangers naturels, rivières en crue, avalanches et froid hivernal, qui font chaque année de nombreuses victimes. En outre, les fréquentes embuscades des douaniers accroissent les risques pour les contrebandiers, mais aussi pour les douaniers.

    Dans la première moitié du XIXème siècle, la contrebande se transforme peu à peu en trafic à grande échelle. Ce trafic est d'abord industriel avec le développement de l'industrie catalane autour de Barcelone qui entraîne les industriels catalans à importer illégalement des métiers à tisser ou des fours à fonderie et à débaucher des ouvriers français. Mais, avec les troubles dynastiques et la guerre civile espagnole de 1830 à 1870, la contrebande se spécialise dans le trafic d'armes. La douane roussillonnaise multiplie donc les saisies malgré les caches nombreuses, ici une grotte, là un cimetière, plus loin des auberges.

    Des bandes armées s'installent le long de la frontière et le contrebandier traditionnel, bien inséré dans la population locale, cède la place à un personnage trouble et dangereux.

    Face à cette menace permanente, les interventions fréquentes des douaniers transforment la frontière, zone de circulation, en une véritable ligne de séparation imposée aux Roussillonnais.

    Frontière et contrebande 

    Une cabane de contrebandier (A.D. Pyrénées-Orientales) 

    Article paru dans la Semaine du Roussillon 


  • Au 18ème siècle une affaire fortement lucrative  

    Contrebande en Roussillon

    Par le traité des Pyrénées de 1659, le Roussillon quittait le royaume d'Espagne pour être rattaché au royaume de France, Les habitants, non consultés, lutterons contre l'État pour préserver leur identité. La contrebande fut pour eux un moyen d'exister.

    Comme l'explique Michel Brunet dans son livre « Le Roussillon, une société contre l'État », les Roussillonnais ne sont pas devenus français d'un seul coup, au lendemain du traité des Pyrénées en 1659. A la question : « comment un fragment de l'ethnie catalane, ayant vécu pendant des siècles accolé à l'ensemble catalan et sous la domination espagnole, s'est-il intégré à la nation française ? » plusieurs pistes sont proposées et, parmi celles-ci, l'activité économique liée à la contrebande qui devint « une des industries les plus florissantes de la contrée, sinon la plus importante ».

    Car le tracé de la frontière, évidemment très contesté par les riverains des deux bords habitués depuis toujours à échanger librement marchandises et bestiaux, fut l'élément déclencheur d'une riposte durablement organisée et d'une insoumission aux règles imposées par l'État français.

    Sel, vêtements, armes

    On connaît les dégâts causée par la gabelle, ce nouvel impôt sur le sel dont la contrebande devint quotidienne, Le trafic local en provenance de Catalogne sud se porta aussi sur les objets d'usage courant comme les vêtements, les bonnets en laine rouge dits « baratinas », les « faixes » - ceintures également en laine rouge – les ustensiles de cuisine, les espadrilles « bigatanes », les étoffes, les objets de cuir tels que les harnais ou les gourdes.Michel Brunet nous dit que, à cette époque, « les Roussillonnais s'habillent dans le Principat ». ceci nuit évidemment à l'artisanat du pays dont on reconnaît volontiers la médiocrité de qualité sur le marché local, trop étroit, ne peut faire progresser.

    Il en est de même pour les armes et la réputation des manufactures de Ripoll ou Olot est connue est connue en Roussillon depuis toujours. Détail cocasse en 1792, alors que se profile une guerre avec l'Espagne et qu'il faut armer les gardes nationaux, une manufacture de Ripoll se dit prête à fournir des canons de fusil aux dimensions voulues par les français.

    Ceci pourrait être considéré comme de la contrebande locale qui s'exerce essentiellement de Catalogne vers le Roussillon. Mais il est un autre type de contrebande organisée par les filières de contrebandiers professionnels et dont le flux est inversé. Si on exporte frauduleusement du minerai de fer, la raison en est simple : la pénurie de bois de chauffe en Roussillon fait que l'on ne peut transformer sur place le minerai de fer et il est beaucoup plus facile de le faire passer en Espagne plutôt que de l'expédier à dos de mulet en France. Les autorités ont conscience de ce problème et si leur désir est d'y mettre fin, elles savent aussi que l'économie de toute la région va en pâtir et probablement s'effondrer. Ce cas sera même évoqué en 1791 à l'Assemblée Nationale pour la mine de Carol.

    Une autre activité dont le marché espagnol est demandeur touche une certaine catégorie de bois plus noble:planches, poutres, douelles de châtaignier. On cite aussi la cire, la soie brute, les cuirs bruts et les vieux linges ou chiffons, appelés « drilles » dont l'industrie papetière espagnole est vorace. Si cela nous prête aujourd'hui à sourire, il faut savoir qu'il s'agit là d'un trafic de contrebande très important dont l'organisation passe par les flottilles de pêcheurs de Saint-Laurent-de-la-Salanque, de Torreilles ou de Collioure qui embarquent vers Barcelone des tonnes de chiffons et qui, en retour, ramènent frauduleusement de la morue et du sucre. En 1811, le Tribunal spécial des Douanes prononcera encore des jugement de saisie de « drilles ».

    En montagne, pour la contrebande de matières premières en direction de l'Espagne, ce sont de véritables expéditions organisées qui se mettent en place. Les passeurs se réunissent en grand nombre et 30 à 40 hommes armés escortent les convois de plusieurs chevaux chargés. Les douaniers impuissants car en nombre insuffisant, ne sont pas en mesure de contrer ce trafic.

    Produits alimentaires...

    D'autres grands courants de contrebande sont liés aux produits alimentaires. Par exemple les grains et le bétail. Fin du XVIIème siècle, alors que la région de Barcelone se développe, il est frappant de constater que son arrière-pays se tourne vers la culture de la vigne, créant ainsi une carence en céréales et en viandes. Le Roussillon, face à l'énorme marché du Principat, ne fournira qu'une infime partie de la demande mais sera le point de passage des expéditions massives provenant du Languedoc.

    Un exemple : la Cerdagne, devenue française, produit deux fois plus de seigle qu'elle n'en consomme et il lui est impossible par manque de voies de communication, de transporter à dos de mulet cet excédent vers le Roussillon. Il est par contre facile pour elle de se tourner vers ses anciens voisins et amis, toujours demandeurs. Ces flux, dont l'ampleur est considérable, constituent un véritable travail de fourmis dont les douaniers ne saisissent que quelques miettes.

    et bétail

    Quant à l'exportation massive de bétail, elle semble constituer un énorme marché dont commerçants roussillonnais maîtrisent le flux. L'historien Pierre Vilar cite le cas de Barcelone qui, en 1793, importe près de 22000 bovins dont la plus grande partie clandestinement du Roussillon. En Cerdagne, sous le prétexte de faire paître les bêtes, il est facile de leur faire traverser une frontière dont le tracé est toujours source de contestation. Le chiffre énorme de 60000 têtes de bétail est cité par le directeur des douanes d'Ax qui écrit le 26 Thermidor de l'An IV aux administrateurs du département des Pyrénées-Orientales. L'enclave espagnole de Llivia, dont le pourtour n'est ni matérialisé ni sécurisé facilite grandement ces opérations de transfert, En avril 1814, le maire de Mont-Louis signale que « nous manqueront entièrement de bétail, tous les bestiaux du pays passeront à l'étranger... »

    Il existe également un trafic de chevaux de trait et de mulets dont Céret semble être la plaque tournante. Sont citées également les localités d'Oms, Fourques, Llupia et Thuir où des hommes sont recrutés pour escorter les caravanes à travers les sentiers vers la frontière.

    Il nous faut aussi parler de la contrebande de tabac dont le petit port de Banyuls-sur-Mer était déjà le centre opérationnel avant la Révolution. Un rapport de l'en 1769 dit que « presque tous les entrepreneurs de contrebandiers sont domiciliés à Banyuls ». Ce trafic ne concerne pas seulement l'Espagne comme le préfet le signale en 1819 : « il n'est pas rare de voir nos marins entreprendre sur de frêles bateaux des voyages longs et périlleux, se rendre dans les ports d'Italie, aux côtes de Barbarie, à Gibraltar et rentrer ensuite avec des chargements simulés après avoir déposé sur quelques points de la côte du département ou celle de la catalogne leur marchandise ».

    Il nous reste à citer la contrebande des denrées coloniales dont le sucre et le café viennent en tête puis celui des métaux précieux, or et argent, le plus secret des trafics.

    La conclusion, nous la laisserons à Michel Brunet qui nous dit que, à cette époque, « la contrebande tend à resserrer les liens étroits, traditionnel, entre le Roussillon et Ampurdan, entre Perpignan et Barcelone (…) le commerce interlope contribue par ailleurs à faire du Roussillon une zone d'insoumission, une espèce de plaque tournante semi-autonome, une zone de transition où la loi française ne s'applique plus tout à fait ou pas du tout ».

    Article paru dans La Semaine du Roussillon 


  • Foire de la Saint-Martin

    Les premiers coups de froid arrivent et avec eux la foire de la Saint-Martin. Événement incontournable, la traditionnelle foire de la Saint-Martin annonce la fin de l'automne en Pays Catalan.

    Foire de la Saint-Martin à Perpignan, un siècle et demi d'histoire. Sont-ils les petits-enfants des amuseurs d'antan ? Certains le revendiquent, d'autres préfèrent ajouter à leur patronyme le terme « industriel forain », peut-être pour définitivement chasser l'idée reçue fortement ancrée dans la mémoire collective qui faisait des forains, il n'y a pas si longtemps,  « l'étranger dont on doit de méfier ».

    Des bateleurs aux forains

    Aussi loin que remonte l'histoire toute concentration humaine a généré la création d'espaces ludiques où s'exprimaient troubadours, jongleurs, montreurs d'animaux savants, musiciens, chanteurs, magiciens et illusionnistes. Pour exemple, le site romain de Ruscinio, à Château-Roussillon, près de Perpignan, vieux de vingt deux siècles, peut-être plus, où les fouilles ont permis de remettre à jour le forum admirablement architecturé avec ses échoppes des marchands, ses ateliers d'artisans, ses boutiques du coiffeur ou de l'arracheur de dents mais aussi sa place publique, fermée sur trois côtés par des galeries couvertes. Il n'est besoin que d'un peu d'imagination pour voir vivre et s'amuser nos ancêtres d'un pays qui s'appellerait plus tard le Roussillon. Les forains, pour reprendre l'expression d'aujourd'hui, ont donc un passé dont ils peuvent être fiers. Ils ont toujours été les amuseurs de la société, en sachant se mettre au goût du jour, se renouveler et promouvoir les nouvelles techniques.

    Perpignan, une foire animée et très populaire

    Plus près de nous, relisons ce qu'écrit Frédéric Saisset en 1901 au sujet de la foire de Perpignan :  « La Foire ! À ce mot magique tourbillonne en nous une poussière de souvenirs : nuage à travers lequel remonte en nous toute notre âme d'autrefois et se représente à notre pensée tout un passé lointain. La Foire ! La Foire ! C'est le cirque avec ses pirouettes de clowns enfarinés et ses chevaux qui semblent, avec leur uniforme branlement de tête, tourner une meule absente, tandis que sur leur dos matelassé vire-volte et tournoie une demoiselle au sourire peint : le Cirque avec ses gymnastes en maillots-chair qui se tordent et se détordent comme des chiffons mouillés qu'on exprime pour la joie toute spéciale des ménagères. C'est, à côté, avec son cliquetis de perles éclatantes et de brocard argenté, le grand manège des chevaux tournants, emportant dans leur immobile galop de bois la petite foule ingénue des mômes. Et plus loin la Ménagerie avec ses fauves peints sur toile, rués sur le dompteur vaincu : et, de l'intérieur, se déverse jusque sur la foule une houle de clameurs sauvages, bruit de tonnerre qui réveille au fond de l'âme un peu de l'effroi qui devait secouer nos aïeux dans les forêts primitives. C'est maintenant la Femme-Prodigue, dont un habile jeu de miroirs à supprimé ses jambes. C'est le Palais des Singes où les hommes vont se pâmer devant la caricature de l'homme. C'est le théâtre de Passe-Passe et d'Équilibre où les chapeaux se transforment en casseroles magiques tandis que pirouette sur un fil de fer tendu une danseuse experte et attentive.

    Pour trois sous

    Et finalement, c'est la longue duperie des baraques louches d'où se dégage, par les quinquets fumeux du dehors, comme une odeur de perversité et de mensonge pauvre. C'est le mensonge même de la vie, la déception, la curiosité leurrée qui retombe en pluie d'ennui dans l'âme. « Venez voir, pour trois sous, la plus belle femme du monde ! Deux sous pour les militaires ! »Un roulement de tambour, et l'adulte inexpérimenté entre, l'esprit ébloui du vol des Chimères, sentant bouger les ailes du désir à l'approche de cette beauté qui s'offre. On entre . Et c'est l'affreux taudis de toile au fond duquel, sur quatre planches noires, une femme est assise : C'est l'Ange de clarté annoncé à l'extérieur ( l'Ange à deux sous pour les militaires ), la grosse poupée de brocard qui sourit de toute sa bouche édentée et vous tend une main amie. C'est la Femme Électrique dont les pieds reposent sur une pile. À son contact, une forte secousse vous ébranle et l'on sent l'effondrement des illusions puériles, les rêves en miettes qui choient. Mais l'espoir renaît de ses cendres, et l'on continue à vouloir tout de même, pour trois sous, un peu de beauté. Et, malgré tout, malgré les débris des illusions en miettes et l'indéniable duperie, dans l'âme de l'enfant l'âme foraine continue de vivre et, après le départ des maisons errantes, une mélancolie de regrets se prolonge et se mêle à l'espoir de l'annuel et périodique retour ! »

    Le saviez-vous ?

    Née le 11 novembre 1759, la foire de la Saint-Martin est installée sur diverses places de la ville et est destinée en premier lieu au commerce de bétail et de produits locaux divers avec une petite place faite au cirque et aux saltimbanques. En 1892, les progrès technologiques permettent l'apparition des premiers manèges à vapeur qui vont remplacer les marchands de bestiaux. La foire est une première fois déplacée en 1962 à la pépinière, puis en 1974 sur l'espace actuellement occupé par les voies sur berges. Depuis 1977, afin d'assurer la sécurité du public de plus en plus nombreux, la foire a définitivement déménagé aux parcs des attractions.

    Article paru dans la « Semaine du Roussillon »


  • Un détournement de diligence en 1834 sur la route Perpignan-Quillan

    Alors que la Révolution industrielle n'en est qu'à ses débuts, cette histoire nous révèle que l'homme,déjà, veut aller plus vite pour gagner du temps. Un course en avant qui n'aura désormais plus de cesse.

    Le 6 janvier 1834, au lieu-dit « montée de la métairie de Guilhemet », sur le territoire de la commune de Saint-Paul de Fenouillet, et alors que les chevaux vont au pas, des individus armés de bâtons surgissent et stoppent la diligence postale. Le conducteur, menacé par les hommes, est fermement prié de céder sa place et la diligence repart pour une destination inconnue.

    Sommes-nous en présence d'un acte de banditisme banal comme il en existe depuis toujours sur les chemins de France ? Et bien non, car rien de ce que contient la diligence ne sera dérobé. En général, les voleurs de grands chemins se contentent se contentent de détrousser les voyageurs et repartent aussi vite qu'ils sont venus. La diligence, en tant que moyen de transport, ne les intéresse nullement. Ici, point de voyageurs mais des sacs postaux qui, parfois, contiennent des valeurs. Et on sait que ces fameux sacs, destinés au bureau des Postes de Perpignan, arriveront avec simplement quelques heures de retard. Ce sera le seul préjudice matériel constaté.

    Mais alors de quoi s'agit-il ?

    Il faut savoir que, à cette époque, le transport de voyageurs ou de messagerie par diligence est soumis à une intense concurrence et la ligne Carcassonne-Perpignan, par Limoux et Quillan, d'un bon rapport, vient d'être revue à la hausse par une intensification du trafic. Le 24 novembre 1833, chez un notaire de Limoux, est signé l'acte par lequel est constituée la société de diligences « Dellac, Brel, Benard et Cie » dont le capital est fixé à 25.000 francs, divisé en 100 actions de 250 francs chacune.

    L'objet de la société sera de « faire le transport des voyageurs et des marchandises en même temps que celui des dépêches du gouvernement ».Elle se substitue à la société appartenant à Joseph Brel, précédemment « entrepreneur du service des dépêches de Carcassonne à Perpignan par Limoux » et devenu actionnaire de la nouvelle société. Les Brel, oncle et neveu, détiennent respectivement 6 et 4 actions. Les 33 actionnaires, dont 26 dans l'Aude et 7 dans les Pyrénées-Orientales se répartirons – à parts inégales – le capital social. Les actionnaires des Pyrénées-Orientales ont pour nom : Jean Antoine Azaïs, négociant et juge de Paix à Saint-Paul ; il est également l'un des 5 administrateurs de la société, Benard père, domicilié à Caudiès. Pla, propriétaire à Saint-Paul. Lacoste, curé à Maury. Amiel demeurant à Estagel et Paul Dieudé, commissionnaire à Perpignan.

    Les arrêts prévus dans les Pyrénées-Orientales se situent à Caudiès, Saint-Paul, Estagel et Perpignan.

    Un mois et six jours plus tard

    Le service débute comme prévu le 1er décembre 1833 et, le 6 janvier 1834, la diligence est stoppée et détournée à Saint-Paul par des hommes agissant à visage découvert et qui n'ont d'ailleurs aucun désir de rester inconnus. Car, en effet, les protagonistes de l'affaire ne sont pas des truands mais des actionnaires de la société à laquelle ils sont associés. En somme, les voleurs se sont attaqués à leur propre matériel. L'instigateur principal du hold-up n'est autre que Jean Antoine Azaïs, dont la fonction de juge de Paix du canton de Saint-Paul exclut toute suspicion de malhonnêteté que l'on pourrait formuler à son encontre. Après l'arrêt forcé et la prise de la voiture, celle-ci a continué son chemin vers Perpignan mais n'a pas atteint son terminal légal. Elle a été amenée dans les locaux commerciaux de Paul Dieudé, commissionnaire en marchandises et autre actionnaire de la société.

    Comment ces hommes respectables en sont-ils venus à kidnapper leur propre matériel ? Ils venaient tout simplement d'apprendre qu'une société concurrente ayant pour nom « Sieurs Rieutord, Lasserre et Cie » s'intitulant « entrepreneurs de diligences de Perpignan à Toulouse et du service des dépêches de Carcassonne à Perpignan » venait d'acquérir auprès de son concurrent Joseph Brel la diligence des dépêches, celle qui, depuis la création de la nouvelle entreprise, assurait le service journalier Carcassonne-Perpignan. Or, Joseph Brel, lors de la constitution de la société nouvelle chez le notaire de Limoux, avait déclaré transporter « tout le matériel de son entreprise » aux actionnaires de la nouvelle entreprise. Et le voilà qui vend une voiture qui, semble-t-il, ne lui appartient plus, à une société concurrente !

    Évidemment, dès le lendemain du kidnapping, les acheteurs floués vont tenter de récupérer leur bien mais Paul Dieudé refuse catégoriquement de restituer la diligence. Sans doute faut-il maintenant préciser que l'objet du délit, la diligence postale, est une voiture d'un type nouveau, plus légère, plus rapide que les voitures traditionnelles et qui ne nécessite qu'un équipage réduit, d'où l'intérêt qu'elle représente au niveau du coût d'exploitation. On comprend mieux pourquoi les uns et les autres la convoitent !

    Le 14 janvier 1834, soit huit jours après le rapt, François Sicart, huissier auprès du tribunal de première instance de Perpignan, délivre une assignation à comparaître à l'encontre de Jean Antoine Azaïs et Pierre Tisseyre « pour se voir condamner solidairement avec le sieur Paul Dieudé, à rendre et restituer aux requérants -l'entreprise Rieutord, Lasserre et Cie – la voiture dont il s'agit et ce dans l'état où elle se trouvait au moment de l'enlèvement, et à défaut leur payer la somme de deux milles francs, formant valeur d'une voiture pareille ; se voir en outre condamner de même solidairement à payer aux requérants tous les dommages soufferts et à souffrir jusqu'au moment où la susdite voiture leur sera rendue en bon état, ou sera remplacée par une voiture semblable, liquidation réservée avec dépens »

    L'assignation précise que la voiture en question a bien été acquise à Joseph Brel par acte privé le 5 janvier, soit la veille de son rapt.

    Cette affaire, dont le dénouement finaln'est pas connu, nous livre plusieurs indications sur l'état des transports à cette époque. La concurrence y est âpre et il est déjà question de gagner du temps, ce temps que l'homme ne cesse de vouloir réduire. Est-ce que les choses ont changé aujourd'hui ? Si les diligences ont disparu, si les temps consacrés aux trajets ont été divisés par dix, cette sempiternelle recherche de « temps gagné », à tous les niveaux de la société, a-t-elle contribué à rendre l'homme heureux ? Sans doute est-ce dans sa nature de courir toujours plus vite.

    Le grand musicien et compositeur Hector Berlioz a dit : « le temps est un grand maître, le malheur est qu'il tue ses élèves ». Mais l'essentiel n'est-il pas de le savoir ?

    Article paru dans La Semaine du Roussillon